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de l’Europe orientale ; mais elle attend encore des hommes qui, comme les Jean de Müller, les Augustin Thierry, les Macaulay, unissent le vif sentiment de la réalité à une puissante imagination.

La situation des Iles-Ioniennes, la richesse d’un territoire d’environ 3,500 kilomètres carrés, échauffé par les feux souterrains qui souvent ébranlent le sol, les exposaient à la convoitise des conquérans de la Grèce et même des vainqueurs de l’Italie. Plusieurs écrivains ont raconté les révolutions dont elles ont été le théâtre[1]. Les grandes puissances maritimes, les Anglais, les Français et les Russes, se sont disputé cette contrée durant la lutte qui a embrasé l’Europe. Devenus maîtres de Venise en 1797, les soldats du directoire s’en emparèrent. Les Russes et les Turcs les y remplacèrent en 1799, et fondèrent la république des Sept-Iles, dont ils se déclarèrent protecteurs. Cette situation dura jusqu’en 1809, où le sort des armes fit tomber le nouvel état sous la domination de l’Angleterre. Le congrès de Vienne sanctionna cette conquête, en la transformant en « protection. » On sait que le congrès disposait des peuples sans se préoccuper de leurs répugnances ou de leurs aspirations. Les chefs de l’Europe coalisée, après avoir protesté avec raison contre les usurpations napoléoniennes, semblèrent vouloir les surpasser. Non-seulement la sainte-alliance se partagea les nations comme de vils troupeaux, mais elle prétendit plus tard imposer aux Napolitains, aux Piémontais et aux Espagnols les gouvernemens despotiques et justement odieux qu’ils avaient chassés. La constitution qui fut en 1817 octroyée aux Ioniens a tous les caractères d’une époque où l’on tenait très peu de compte des droits des nationalités. Tout en affectant de protéger l’élément indigène, on avait eu soin d’accorder aux Anglais les prérogatives d’une souveraineté dénuée de tout contrôle sérieux. Le parlement n’était qu’une comédie. La liberté de la presse, sans laquelle il n’existe pas de gouvernement constitutionnel, n’était point tolérée. Dans un pays essentiellement grec, l’anglais et l’italien étaient les deux langues officielles. Les listes civiles étaient énormes et sans aucun rapport avec les ressources des Ioniens. Lord Castlereagh, dont on connaît les théories rétrogrades, avait sans doute dicté la législation de la république des Sept-Iles. Cette constitution avait évidemment pour but de transformer les Ioniens en « sujets loyaux » de la couronne britannique ; mais ce tra-

  1. M. Mustoxidi, littérateur ionien distingué, a publié une histoire des îles. Le comte Hermann Lunzi a fait paraître un volume sur l’époque de la domination vénitienne (Athènes, 1856). Quelques îles ont été l’objet de monographies. Le comte Marmora a écrit sur Corfou, M. Chiote sur Zante, M. Petrizzopoulos sur Leucade. Ce dernier ouvrage est très peu exact. On doit à M. Mazarachi une Vie des Céphalènes (habitans de Céphalonie) illustres, qui a été traduite par M. Tommaseo.