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des reptiles, qui naît d’un œuf de coq couvé par un crapaud. On est heureux de l’avoir aperçu avant qu’il ait retourné sa tête surmontée d’un diadème, car son regard tue comme la foudre quand c’est lui qui vous voit le premier.

La végétation, dans cet empire des vapeurs, est digne des animaux. On y rencontre la rose de Jéricho, qui fleurit le jour de Noël, jamais avant, jamais après, et la sferra cavallo, qui brise les serrures et arrache le fer des chevaux qui la foulent. On y trouve le basilic, qu’il ne faut pas respirer de trop près, car son odeur engendre des scorpions dans le cerveau, et cependant cet homonyme du roi des serpens est aussi un puissant antidote pour vaincre le venin du peuple des reptiles. On y découvre la mandragore, qui s’engendre, sous les gibets, de l’urine et de la graisse des pendus, et dont les racines a forme humaine poussent des cris quand on les arrache. Ce sont de formidables racines, comme Pline a soin de nous en avertir. Pour pouvoir les enlever sans danger de mort, il est nécessaire d’abord de prendre le haut du vent, puis de décrire autour d’elles trois cercles avec un glaive, et de creuser ensuite la terre en regardant vers le couchant.

Je cite seulement la mythologie la plus fantastique des annales de l’erreur ; mais il s’en faut qu’elle soit la manifestation la plus humiliante de la fragilité humaine. Après tout, ces monstres et ces cauchemars avaient le mérite de représenter ce que l’on aperçoit dans l’ombre où il n’y a rien ; s’ils n’étaient point le réel, ils étaient le grotesque ou le terrible, l’emblème poétique d’une forme d’émotion dont nous avons tous en nous le principe. D’ailleurs c’étaient des copies d’après des originaux qui n’avaient aucune existence, et en bonne logique, ceux qui tenaient à y croire pouvaient toujours se dire ce qu’un adversaire de Browne trouvait à répondre en faveur des griffons : si l’on n’en rencontre jamais, « c’est qu’ils se sont retirés dans les lieux inaccessibles, comme il y en a beaucoup dans les vastes contrées de la Scythie[1]. » Mais ce qui confond bien autrement l’esprit, c’est la tourbe des absurdités banales, de celles qui nous présentent l’homme butant où il n’y a pas de pierre, s’égarant sans être séduit par aucune sirène, faisant des contre-sens par pure insouciance de regarder, ou tout au plus par cet amour

  1. L’argument est de Ross, l’auteur de l’Arcana microcosmi, ou les secrets cachés du corps humain mis en lumière dans un duel anatomique entre Aristote et Galien touchant les parties d’icelui, comme aussi par une révélation des maladies, symptômes et accidens étranges et merveilleux du dit corps de l’homme, etc. C’est Ross encore qui comprend très bien qu’on voie rarement le phénix, et qu’il ait l’instinct de se tenir éloigné de l’homme, le grand tyran des créatures. « Tout unique qu’il est, si Héliogabale, l’effréné glouton, l’eût trouvé sur son chemin, il l’aurait dévoré sans scrupule. »