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n’y a pas bien loin, surtout pour un homme qui regarde les fossiles et le corail comme des espèces d’organismes minéraux, et en effet Browne semble avoir été fort séduit, alors qu’il était jeune, par la palingénésie des adeptes. Dans un ouvrage antérieur à la Pseudodoxia, il parle avec complaisance de cette forme (nous dirions cette essence) des corps altérables, « qui, lorsque ceux-ci sont en apparence détruits par le feu, ne périt pas et n’abandonne pas entièrement sa demeure, comme nous l’imaginons, mais se retire et se replie dans leurs parties incombustibles, où elle reste protégée contre l’atteinte de l’élément dévorant. »

Il n’y a pas jusqu’à la première des superstitions, jusqu’à l’astrologie, qui n’inspire encore à Browne un reste de respect, — et je ne dis pas l’astrologie rationnelle de Bacon, l’idée que les positions des astres relativement à notre planète peuvent influer sur les températures, les orages, les épidémies, les disettes, et partant sur les soulèvemens des peuples et le renversement des trônes : — je dis la vieille astrologie judiciaire, qui croyait à un rapport absolu entre les choses d’en haut et les choses d’en bas, à une communauté de nature et de destination qui mettait les êtres et les événemens de la terre à la remorque de ceux du ciel.

De fait, Browne est sujet à l’illusion qui est la mère de toutes les autres : il se laisse tromper par la vivacité des conceptions qui n’existent que dans sa tête, et il est disposé à les prendre pour des faits extérieurs qu’il perçoit dans les objets. Il est allé jusqu’à écrire que nul sarcasme ne le débouterait de la doctrine d’Hermès : « que ce monde visible est simplement une image de l’invisible. » Et véritablement les idées qu’une chose lui suggère sont aussi réelles pour lui que la chose elle-même. Avec son immense savoir, il n’en faut pas davantage pour que toutes les formes d’illusions qui ont jamais possédé le cerveau humain aient tour à tour leur palingénésie dans son esprit ; mais c’est là justement ce qui fait un des grands charmes de son œuvre. Nous y retrouvons des données expérimentales qui nous rappellent nos propres connaissances, et sous cette superficie de science moderne nous découvrons le monde des pensées mortes, à peu près comme la terre, sous sa croûte habitée par les vivans, renferme les catacombes des monstrueux sauriens et l’éternel musée des formes où s’essayait la nature antédiluvienne. Les cauchemars de l’intelligence humaine mal éveillée du néant, les ombres des théologies de l’Orient et des philosophies de l’Occident, les chimères et les avortons enfantés par la corruption des vérités ou par l’alliance d’une ambition déréglée et d’une connaissance incomplète, — toutes les curieuses erreurs enfin qui sont les ancêtres de nos opinions, et que nous n’aurions pas le courage d’aller étudier dans leurs vieilles archives,