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législative qui a été nommée se trouve composée en majorité de membres de la gauche, parmi lesquels comptent M. Valerio, M. Brofferio, et cette majorité a résolu de proposer à la chambre le rejet pur et simple de l’œuvre ministérielle. Deux membres de la commission, dont l’un est M. Buffa, ancien intendant de Gênes, présentent un projet distinct qui modifie celui du gouvernement. Ce n’est point, à ce qu’il paraît, sans de longs tiraillemens que la commission de la chambre des députés est arrivée à la conclusion qui se trouve consignée dans un rapport de M. Valerio. Des négociations ont été suivies, des tentatives de transaction ont été faites ; le roi même, dit-on, a reçu à cette occasion l’un des membres de la commission, M. Brofferio. Toujours est-il que, pour le moment, deux propositions existent, l’une émanant de la majorité de la commission et concluant au rejet absolu de la loi primitivement présentée, l’autre formulée par la minorité de la commission et ayant pour défenseur M. Buffa. Quant au gouvernement, s’il se montre prêt a accepter tous les amendemens propres à introduire quelques améliorations dans la loi, il paraît également disposé à soutenir jusqu’au bout le principe de son projet, qu’il n’abandonne nullement. Que va-t-il arriver ? La chambre jugera-t-elle que la commission a fidèlement traduit ses opinions, et ratifiera-t-elle la proposition extrême qui lui est faite ? Dans la discussion qui va s’ouvrir, le cabinet se rapprochera-t-il de la droite, évidemment favorable à la pensée du projet ? L’alliance qui a existé depuis quelques années entre le ministère et une partie de la gauche sortira-t-elle intacte de cette épreuve ?

C’est là, comme on voit, un ensemble de choses très compliqué et plein de difficultés pour tous les partis, comme pour le cabinet de Turin. C’est, si l’on peut ainsi parler, la crise décisive d’une situation parlementaire jusqu’ici habilement maintenue par M. de Cavour. Or cette crise ramène naturellement au point où la situation actuelle a commencé, et c’est là justement ce qui fait l’intérêt d’un livre que M. Louis Chiala vient de publier à Turin sous ce titre : Une Page d’histoire du Gouvernement représentatif en Piémont. M. Chiala a feuilleté cette histoire, encore si courte et pourtant si honorable, du régime constitutionnel piémontais, et il y a puisé le sujet d’un travail intéressant et instructif : intéressant, car il raconte, il met en lumière des faits peu connus en dehors du Piémont ; instructif au point de vue de la situation, car il montre ce qui a fait la force de M. de Cavour depuis quelques années, et ce qui peut faire aujourd’hui sa faiblesse. C’est l’histoire de l’alliance du président du conseil et d’une fraction de la gauche, ou du moins des origines de cette alliance.

À quel moment cette combinaison faisait-elle son apparition dans la politique ? Dans des circonstances qui n’étaient pas très différentes des conjonctures du moment présent, ainsi que le fait voir le récit de M. Chiala. On se trouvait au commencement de 1852, et le gouvernement, dont le chef était alors M. d’Azeglio, prenant l’initiative de mesures préservatrices, présentait une loi sur la presse, comme le cabinet actuel présente une loi sur les attentats. C’est à l’occasion de cette loi sur la presse que M. de Cavour, membre lui-même du cabinet, accomplissait une évolution hardie, comme un général d’armée qui opère en face de l’ennemi. Après avoir été l’un des orateurs et des écrivains les plus éminens du parti conservateur dans les années de la