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dence, mais qui a pour principe une force mal appliquée. Il semble d’abord que cette vigueur native offre une précieuse ressource, et qu’il suffirait, pour en tirer parti, de lui donner une direction convenable ; mais ici il est moins facile d’appliquer le remède que d’en trouver la formule : c’est que la direction mauvaise primitivement suivie a été en quelque sorte consacrée par l’effet produit. Or l’effet produit, quel qu’il soit, devient de plus en plus la pierre de touche des œuvres intellectuelles. Encore les œuvres autour desquelles il s’est fait un certain bruit ont-elles été très rares depuis quelques années, tellement rares qu’on est tenté de savoir gré aux auteurs d’être arrivés, à cette époque d’indifférence pour les créations de l’esprit, à jucher leur personnalité sur un petit piédestal, en même temps qu’au nom des exigences pures de l’art on ne peut s’empêcher de leur adresser de justes critiques. Après l’examen, malheureusement trop rapide, des quelques œuvres qui tranchent sur le reste par une originalité plus ou moins discutable, on tombe dans ce milieu plat, vulgaire, monotone, où la production intellectuelle prend le goût du public pour guide, s’accommode de tout, use de recettes connues et consacrées avec une certaine adresse d’exécution devenue banale, et se montre en un mot de plus en plus impersonnelle.

Du reste, ce défaut actuel d’originalité n’est point particulier à la France. M. Adolphe van Soust vient de le reprocher à la Belgique pour les arts plastiques[1]. Il est vrai que de toutes les écoles l’école belge a le moins de raison d’être. Ce n’est qu’une question de domicile et de lieu de naissance. À quelque catégorie que ses peintres appartiennent, soit qu’ils imitent dans le genre flamand van den Velde et Jean Steen, soit qu’ils imitent dans l’école française actuelle M. Delacroix, M. Meissonier ou même M. Courbet, on ne peut que les ranger dans le servum pecus d’Horace. Ce résultat, qui avait frappé tout le monde à l’exposition universelle de 1855, vient de se manifester de nouveau au dernier salon de Bruxelles. Par malheur encore pour l’école belge, ses plus illustres représentans restent sous la tente. M. Wiertz organise chez lui une exposition permanente. Quant à M. Gallait, s’il n’a pas voulu envoyer ses œuvres à Paris en 1855, ce n’est certes pas pour les compromettre aujourd’hui dans une mince exhibition locale. Restent, il est vrai, les trois noms suivans, Leys, Madou, Willems, dont l’un d’eux, Leys, a, suivant M. van Soust, élevé le genre au rang de l’histoire. M. van Soust, en désespoir de cause, se rattache à eux, les tourne, les retourne et les fait valoir comme un bon marchand sa marchandise ; mais il ne fera pas que nos souvenirs ne nous représentent.M. Madou comme un peintre sec, froid, monotone ; M. Willems, malgré quelques bonnes qualités, comme beaucoup trop sobre de couleurs, et éteignant celles qu’il ose employer sous des tons plâtreux et ternes ; M. Leys enfin comme un habile faiseur de pastiches, calquant ses personnages sur les gravures de Martin Schœn et d’Albrecht Durer, et s’inspirant beaucoup trop de Memling et de van der Weyden.

L’intérêt du livre de M. van Soust n’est heureusement pas dans l’examen de l’école belge ; il se trouve dans des considérations générales d’un ordre élevé où l’auteur montre de sérieuses connaissances et un sens critique

  1. L’École belge de Peinture en 1857, 1 vol. in-8o ; Bruxelles et Leipzig, 1858.