Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/791

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou Jules César. Malgré ces succès et ces jouissances de l’esprit, Immermann était violemment contesté par la critique. Sa vie était une lutte, et sa grande arme dans cette lutte, son théâtre de Düsseldorf, venait de lui échapper. À vrai dire, il souffrait. Athlète à demi vaincu, il avait besoin, pour reprendre haleine, des consolations du cœur et de la famille.

Il renouvela auprès de son amie ses propositions de mariage et ses instances. Les raisons, qui avaient dicté le refus de Mme la comtesse d’Ahlefeldt n’existaient plus depuis quelques années ; M. de Lützow était mort au mois de décembre 1834. D’autres motifs, aussi impérieux que les premiers, maintinrent la décision qu’elle avait prise. Mme d’Ahlefeldt était encore une femme jeune et brillante ; quelques années plus tard, elle le savait bien, la distance d’âge qui la séparait d’Immermann allait devenir bien autrement sensible. « Vous serez jeune encore, disait-elle, quand j’aurai cessé de l’être. » Elle refusa, et fit sagement sans doute ; mais que d’inconséquences dans le cœur humain ! Assez maîtresse d’elle-même pour prévoir et prévenir un irréparable malheur, elle ne le fut point assez pour dominer les contradictions de son âme. Il y a une des plus touchantes héroïnes du drame français qui ordonne à son amant d’épouser sa rivale plutôt que de s’exposer à la mort, et quand cet amant semble obéir trop vite à son ordre, elle éclate en plaintes et en sanglots. Cette situation de l’Atalide de Racine, ces douleurs, ces angoisses, ce furent celles de Mme d’Ahlefeldt. Immermann en 1838 avait été appelé à Magdebourg pour une fête de famille ; il y vit une jeune fille de dix-huit ans, Marianne Niemeyer, de Halle, qui avait perdu ses parens, et dont le tuteur était le frère même du poète, Ferdinand Immermann. Ayant eu occasion de lire devant elle ces œuvres dramatiques qu’il interprétait si bien, il fut frappé de l’intérêt qu’elle paraissait y prendre. À peine revenu à Düsseldorf, il adressa une dernière demande à Mme d’Ahlefeldt, et cette fois avec une certaine précipitation embarrassée, avec une espèce de vivacité, de violence même qui attestait un douloureux serrement de cœur. Un refus suprême le décida ; il engagea aussitôt une correspondance avec sa jeune amie de Magdebourg, et quelques mois après il était fiancé à Marianne Niemeyer.


VI

On a écrit sous maintes formes le drame des affections trompées ; dans des situations que condamnait la morale, on a souvent ému les cœurs en peignant les tristesses de l’abandon ; ici du moins