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l’ordre de descendre le fleuve Amazone, d’étudier toutes les questions qui se rattacheraient à la navigation et au commerce de ce fleuve, et de faire à ce sujet un rapport au gouvernement des États-Unis. M. Gibbon descendit de la Bolivie par le fleuve Madeira. M. Herndon suivit le chemin de Parco, et reconnut les eaux de la rivière Hualaga. Tous deux rentrèrent dans leur pays après avoir parcouru l’Amazone. La publication du rapport de M. Herndon excita un vif enthousiasme aux États-Unis. Il n’y avait pas au monde, disait-on, une contrée aussi fertile, aussi riche en or, en argent, en pierres précieuses, en produits de toute espèce, que la vallée des Amazones. Sous tous les rapports, cette vallée déserte offrait par sa proximité plus d’avantages que la Californie : c’était sur elle que les Américains devaient tourner leurs vues ; c’était une conquête à faire, conquête aussi profitable que l’avait été celle de la Louisiane.

Ceux qui connaissent les États-Unis et la population de la grande république peuvent se faire une idée de l’impression produite par ces publications. La convention de Memphis se réunit : elle décida qu’on devait engager le peuple des États-Unis à faire des expéditions dans l’Amazone et à déclarer au gouvernement de l’Union qu’il fallait seconder toutes ces entreprises, peaccably if we can, forcibles if we ment, c’est-à-dire « pacifiquement si on le pouvait, par la force s’il le fallait. » De véritables flibustiers se mirent aussitôt en mesure d’envahir l’Amazone. À la première nouvelle qu’il reçut de ces préparatifs, le gouvernement brésilien signifia au cabinet de Washington son droit entier et inattaquable sur ce fleuve, et déclara formellement qu’il s’opposerait à toute tentative de navigation sous pavillon américain comme sous tout autre pavillon étranger. Le gouvernement de l’Union comprit que la justice était du côté du gouvernement impérial, et il défendit aux citoyens américains la navigation de l’Amazone sans une permission du Brésil.

Le bruit fait à ce sujet par la presse des États-Unis a eu son retentissement en Europe. La presse anglaise et la presse allemande ont pris parti pour le Brésil ; mais en France l’opinion publique s’est tournée contre lui, parce qu’on a cru qu’il avait la prétention de fermer à tout jamais la navigation de l’Amazone. Sur quoi cependant se fonde cette opinion ? Sur l’attitude prise vis-à-vis des États-Unis ? On a déjà vu de quel côté était la raison. Reprochera-t-on au Brésil d’être allé seulement chercher ses voisins, en possession comme lui des rives de l’Amazone et de ses tributaires, pour les engager à ouvrir la navigation de ces fleuves, au lieu de porter les mêmes propositions en France, en Angleterre, aux États-Unis ? Mais les premiers étaient, comme le Brésil, états riverains ; ils avaient donc à cette navigation des droits légitimes et un intérêt immédiat.