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d’impénétrables forêts et des gorges profondes. Souvent le fleuve coule entre deux montagnes de granit dont ses eaux ont rongé la base : presque partout les sapins et les mélèzes se pressent si serrés sur ses bords qu’on ne trouve point de rive où débarquer. Quelques sentiers ouverts dans les bois servent à relier les lieux habités ; à la fonte des neiges, ils disparaissent sous l’eau, et ils deviendraient complètement impraticables si l’on ne jetait en travers d’énormes troncs d’arbres sur lesquels courent ou plutôt bondissent les tarantass. On appelle ainsi l’unique voiture possible en ce pays : c’est une caisse en bois, tout ouverte et portée par quatre longues poutres qui reposent sur les essieux des roues ; on y attelle six chevaux, quatre au timon, sous la conduite du cocher, et deux en avant avec un postillon. Tout transport serait impossible si l’hiver on n’avait la ressource du traînage et l’été celle de la batellerie. Au point où chaque rivière devient navigable est établi un pristan ou port d’embarquement, où s’accumulent pendant l’hiver les produits destinés à la foire de Nijni-Novgorod, qui se tient en juillet. Le plus important de ces ports est le pristan d’Outkinskoï, sur la Tchoussovaia. Dès que la débâcle a eu lieu, il y règne une activité extrême : quatre mille paysans, dont quelques- uns sont amenés de plus de cent lieues, y sont réunis pour embarquer les produits des forges et des fonderies de la couronne ; c’est là aussi que l’on construit une année à l’avance les barques qui doivent servir aux expéditions du printemps suivant. Ces barques sont des bateaux à fond plat de cent vingt-cinq pieds de long sur vingt-cinq de large, et avec une profondeur de huit à neuf pieds ; la proue et la poupe dessinent une sorte d’angle obtus ; les membrures sont des bouleaux entiers choisis tout exprès, mais les bordages sont en simple bois blanc : pas un clou, pas une ferrure n’entrent dans la construction ; des chevilles y suppléent. Le pont se compose de poutres solidement assemblées ; il est superposé au bateau comme un couvercle à un vase, il n’y est point assujetti. C’est une mesure de précaution dictée par l’expérience : il arrive souvent que les barques rencontrent des rochers à fleur d’eau, s’entr’ouvrent et coulent à fond ; le pont flotte alors comme un véritable radeau, et l’équipage est sauvé. Le chargement de chaque barque varie de 140 à 160 tonneaux, et l’équipage de trente-cinq à quarante hommes. À l’avant et à l’arrière sont placées de fortes et larges rames, longues de quarante à cinquante pieds, qui servent à diriger le bâtiment, et la manœuvre est commandée par un marinier qui se tient sur une sorte de plate-forme élevée au milieu du pont. Ces bateaux mettent de deux à trois mois à descendre la Tchoussovaia, puis la Kama jusqu’à son confluent avec le Volga, pour remonter ensuite ce dernier fleuve jusqu’à la hauteur de Nijni-Novgorod,