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heure tout ce que leur vie et leurs aventures pouvaient offrir d’inspirations à la poésie, a recueilli avec avidité le récit de leurs exploits. Un des traits les plus curieux de leur caractère est la passion qu’ils avaient pour leurs armes. Dans la curieuse préface qui précède le poème intitulé Dimos et son fusil (Ὁ Δῆμος καὶ τὸ καρυοφύλλι του), M. Valaoritis rapporte qu’ils ne quittaient leur fusil ni jour ni nuit, et qu’ils l’aimaient jusqu’à l’adoration. La légende leur attribue des actes inouïs, parfois même des crimes, inspirés par le désir de posséder une arme vantée. Ils donnaient à ces étranges favoris des noms singuliers ou terribles. L’auteur des Μνημόσυνα dit qu’il possède lui-même un yatagan nommé le Vampire. Qui ne connaît en Épire la carabine de Paléopoulos, toujours sûre de frapper l’ennemi ? Comme si ces instrumens de carnage avaient été animés d’une vie surnaturelle, les klephtes leur adressaient des discours enthousiastes, et ordonnaient en mourant qu’on les plaçât à côté d’eux dans le tombeau. Dans les heureuses contrées, — hélas ! encore si rares ! — où la loi suffit à protéger tous les droits, même les droits des plus faibles, — où la maison du plus humble citoyen est une forteresse inexpugnable, on aura quelque peine à comprendre l’espèce de culte que les klephtes accordaient à un mousquet ou à un sabre ; mais dans l’Europe orientale, où la justice qui n’est pas armée de pied en cap est encore fort exposée à être traitée en esclave, on se rend très bien compte de sentimens sans doute exaltés, mais qui ont pour source un noble instinct d’indépendance. Tout peuple qui ne manie pas volontiers la carabine n’est-il point la proie assurée d’un voisin plus puissant ? Même en Occident, quel aurait été le sort de la modeste Néerlande luttant contre les flottes et les armées de Philippe II, sans l’esprit guerrier des gueux ? Que seraient devenus les pâtres des Alpes à Morgarten et à Sempach, s’ils n’avaient opposé à la maison d’Autriche ces formidables a étoiles du matin » qui brisaient comme des roseaux les lances et les épées des plus fiers chevaliers ? Napoléon lui-même et les armées qui avaient vaincu l’Europe n’ont-ils pas reculé devant l’escopette des paysans espagnols auxquels on prodiguait d’abord toutes les expressions du mépris ? Si la Grèce n’avait pas trouvé dans les klephtes une armée façonnée à tous les périls et habituée à vénérer ses armes, elle serait aujourd’hui un obscur pachalik. Sachons donc gré à M. Valaoritis de nous avoir raconté avec chaleur la valeur de Dimos, les derniers jours d’Euthyme Vlachavas et le martyre de Catzantonis.

La vie de Vlachavas, cet indomptable enfant des montagnes de la Thessalie, ressemble à une légende guerrière du moyen âge. Personne n’a pénétré le mystère de son origine, ni connu le nom de ses parens. Toujours en armes sur le Pinde, sur l’Olympe et sur l’Ossa,