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une des plus riches mines d’argent de la couronne. Les pins noirs qui ont succédé aux peupliers et aux bouleaux font place à leur tour aux cèdres. On voit se dresser devant soi le pic d’Ivanoffsky Belock avec ses neiges éternelles ; au lieu de rivières, on ne rencontre plus que des torrens qu’on ne saurait traverser sans danger, et à partir de la mine de Riddersk il est impossible de voyager autrement qu’à cheval. Partout les autorités russes mettaient à la disposition de M. Atkinson vingt chevaux et quinze hommes, dont dix portaient des haches et les autres des fusils ; un Cosaque commandait cette escorte, qui donnait au voyageur l’air d’un chef de brigands. De distance en distance, on rencontre dans les vallées de petits villages où règne l’aisance. Chaque ménage possède des chevaux et des vaches qui trouvent abondamment à paître dans les environs du village ; les flancs des montagnes fournissent assez de foin pour la provision d’hiver. Les paysans récoltent du seigle et du blé ; ils ont de nombreuses ruches qui leur donnent un miel exquis ; ils font des conserves et des liqueurs avec les fruits sauvages et les baies de plusieurs arbrisseaux ; enfin ils ont droit de chasse et de pêche. Ils ont donc tout le nécessaire de la vie et quelques-unes de ses superfluités ; il ne leur manque que la liberté. L’autorité du tsar les suit jusqu’au fond de ces gorges presque inaccessibles : on sait le nombre et l’âge des habitans du moindre village. De temps en temps un ordre arrive, et quelqu’un des jeunes gens est obligé de se rendre dans une mine, éloignée peut-être de mille verstes, pour y travailler des mois, souvent des années, à raison de moins de six sous par jour : trop heureux encore de n’être point enrôlé dans l’armée, car alors il serait presque assuré de ne jamais revoir le lieu de sa naissance. Malgré la perspective de ces séparations cruelles, les habitans de l’Altaï ne se plaignent point de leur sort. M. Atkinson fut reçu au village de Poperetchnaia par un vieillard dont le fils avait été désigné pour l’accompagner dans une de ses excursions ; c’était un véritable patriarche, dont la tête et la physionomie auraient pu servir de modèle pour un des évangélistes : une longue barbe grise encadrait une mâle figure qui respirait la santé et le bonheur. Il avait pour tout vêtement un pantalon de toile bleue enfermé dans des bottes qui montaient jusqu’aux genoux, et par dessus une chemise ou une blouse blanche serrée autour de la taille par une ceinture rouge. L’hiver, on ajoute à ces vêtemens une peau d’agneau ou une peau de loup. Sa femme portait une chemise de toile blanche, une jupe plissée rose, un mouchoir rouge sur la tête, des souliers, mais point de bas. C’était une femme d’un air respectable et intelligent, et qui tenait sa maison dans un ordre parfait. Les boiseries, les bancs, les tables, les planchers étaient fréquemment