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nouvelle ouverte au commerce, et tandis que la Sibérie payait moins cher ce qu’elle achète à l’Europe, elle a conquis une voie d’écoulement plus facile et plus prompte pour ses propres produits, affranchis de transports onéreux.

De semblables résultats, obtenus en si peu de temps, avaient une portée trop haute pour ne pas frapper tout esprit politique. Le général Mouravief, qui les avait entrevus dès son arrivée en Sibérie, et qui, dans une rapide visite à Pétersbourg en 1856, s’était assuré des moyens d’action considérables en hommes et en argent, a consacré tout l’été de 1857 à vérifier par ses propres yeux les progrès déjà accomplis, à préparer ce qui restait à faire. Au retour de cette inspection, il a pris immédiatement la route de Pétersbourg, où il est arrivé en novembre de la même année. Il a exposé au tsar l’insuccès de la mission confiée à l’amiral Putiatin, la certitude d’une guerre avec la Chine, qui ne peut se laisser ravir, sans essayer de la défendre, la moitié d’une province qui a été le berceau de sa dynastie, enfin la nécessité non-seulement de conserver, mais de développer les établissemens formés sur les bords de l’Amour. Il a fait voir la Sibérie orientale condamnée à languir au milieu de sa ceinture de montagnes et de glaces éternelles, appelée au contraire à l’avenir le plus brillant et le plus rapide, si on lui ouvre vers le monde civilisé cette route que la nature a pris soin de tracer elle-même ; il a montré les moyens d’action tout prêts, l’exécution facile, l’occasion opportune. Les rapports du général Mouravief, confirmés de tous points par le témoignage du général Korsakof, feldataman des Cosaques établis au-delà du Baïkal, arrivé à Pétersbourg presque en même que le gouverneur général, ont porté la conviction dans l’esprit du tsar. Les résolutions prises par le gouvernement russe se sont trahies dans le langage de ses organes semi-officiels, et surtout dans un article significatif de l’Abeille du Nord. « La Chine, disait l’écrivain russe, est un empire trop étendu pour qu’il puisse lui être permis plus longtemps de mener une existence isolée, et de s’interdire tout rapport même avec les états qui, par leur organisation commerciale ou la contiguïté de leurs frontières, ont le plus de droits à entrer en relations avec elle. Le génie de l’activité européenne réclame à grands cris qu’elle entre enfin dans le cercle de son action. Les états civilisés ont trop le sentiment de leur dignité et de leur puissance pour demeurer plus longtemps indifférens aux refus obstinés que fait la cour de Pékin de nouer aucune sorte de relations avec l’Europe et l’Amérique : ils le peuvent d’autant moins que le Japon, mieux inspiré, n’a attendu pour abaisser ses barrières l’emploi d’aucun moyen de coercition. D’après les dernières nouvelles, la Chine persiste dans son obstination. On n’aura donc point lieu d’être surpris si la Chine