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et de la faveur d’un puissant pacha, allié et ami de sa mère, qui lui avait proposé à plusieurs reprises une place secondaire, il est vrai, dans l’administration. Le bey, qui était alors jeune, riche, heureux, indépendant, avait éludé ces offres bienveillantes ; mais le moment était venu pour lui de chercher des distractions et des jouissances ailleurs qu’au sein de son harem. C’est ce que Maléka lui représenta un jour qu’il paraissait plus sombre et plus souffrant que de coutume. Il repoussa d’abord bien loin les conseils de sa fidèle amie ; mais les premiers mots qu’elle avait prononcés étaient entrés dans son esprit en y apportant la conviction. Maléka, qui aperçut un éclair de joie allumé par ses paroles dans les yeux jusque-là si ternes de son époux, lui donna la satisfaction de combattre ses prétendues répugnances, et elle s’y prit si bien qu’au bout d’une heure de discussion, la visite d’Osman à son ancien protecteur était résolue. L’excellente femme se montra humblement reconnaissante de la concession que lui faisait son maître, et Osman se sentit guéri d’avance en pensant aux reproches affectueux que lui adresserait le pacha, à l’accueil empressé qu’il recevrait, à la jalousie qu’un tel accueil ne manquerait pas d’exciter dans le petit monde de ses courtisans, à la mélancolie dans laquelle il se draperait, à sa rentrée définitive dans la carrière des honneurs et de la fortune. Depuis trop longtemps, il ne vivait plus que pour et par ses femmes ; aussi la seule pensée d’une existence dans laquelle les femmes n’auraient point de part le remplissait-elle d’aise.

L’attente d’Osman ne fut pas trompée. Son ancien ami le reçut à bras ouverts. Ce pacha était un assez bon homme, qui s’ennuyait beaucoup et bénissait pieusement toute distraction que le prophète daignait lui envoyer. Il y avait sur son visage, dans ces momens d’expansion, un sourire et une expression de bonté si naturelle et si agréable, qu’il était difficile de le regarder alors sans l’aimer. Osman, qui sortait d’une espèce de tombeau, fut si touché par ce bienveillant sourire, qu’en se prosternant selon l’usage, en portant l’ourlet de la robe du pacha sur son cœur, sur ses lèvres et sur son front, les larmes lui vinrent aux yeux.

— Je dois vous paraître ingrat, dit Osman après que les formules respectueuses de la politesse orientale furent épuisées, et je ne suis en réalité que malheureux.

Ces mots pouvaient être pris pour le préambule d’une histoire, et le pacha, qui ne savait comment passer son temps, les accueillit avec joie et intérêt. — Vous avez souffert depuis que vous nous avez quittés, répondit-il non sans émotion ; contez-nous vos malheurs, et nous ferons tout ce qui nous sera possible pour vous les faire oublier.