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sang circassien, géorgien, arabe, abyssinien, circule, plus ou moins mélangé, sous presque tous les fins tissus qui s’étalent sur les divans des riches Osmanlis, et ce sang-là est assez chaud, assez impatient pour résister à l’engourdissement qui s’empare sans peine des Turcs, tyrans ou esclaves.

Osman était un vrai Turc, et Zobeïdeh une véritable Circassienne ; aussi ce fut elle qui contraignit Osman à la fuite, et, ce qui est plus étrange encore, elle attendit son retour de pied ferme. Mais comment se passa cette période nouvelle de sa vie ? Se corrigea-t-elle pour reprendre par la douceur l’influence que de criminels moyens n’avaient pu lui rendre ? C’est le contraire malheureusement qui arriva.


II. — ISMAËL ET KASSIBA.

Lorsqu’Osman quitta Zobeïdeh en emmenant avec lui Maléka, la Circassienne était retombée dans une de ses crises les plus affreuses. Elle cherchait un crime à commettre, une victime à frapper. À qui s’en prendrait-elle ? A lui ? Jamais ! A elle-même ? N’était-ce pas ce qu’elle faisait depuis le commencement de toutes ces tempêtes ? Et pourquoi ? N’était-elle pas assez punie ? Un malheur qu’elle n’eût jamais cru possible allait fondre sur elle. Osman s’éloignait. Ce n’était que pour peu de temps ; mais comment traverser ces jours de solitude ? comment vivre loin d’Osman ?…

Zobeïdeh regarde autour d’elle. Son pâle visage paraît plus pâle encore ; son œil, déjà si terne, s’est complètement éteint. Qu’a-t-elle donc vu ? Une de ses hideuses esclaves est-elle sortie, papillon superbe, de sa lourde chrysalide ? Non : la laideur l’entoure ; la seule beauté qui ose briller en ce harem, c’est la beauté des enfans. Des enfans ! Et à qui appartiennent-ils ? A Osman ; mais à qui encore ? Et Osman les aime peut-être… S’il les aime, pourquoi les lui a-t-il laissés ? pourquoi les lui a-t-il livrés ?… Zobeïdeh frissonne, elle a horreur, elle a peur d’elle-même : la pensée qui a traversé son esprit lui est odieuse et la rappelle un instant à des sentimens humains ; mais elle tremble, elle sait trop bien que les pensées de meurtre ont pour elle un irrésistible attrait, qu’elle en est obsédée, qu’elle est impuissante contre elles. Ah ! qu’Osman revienne, ou la malheureuse succombera.

À l’heure même où ces étranges terreurs agitaient son âme, la Circassienne était entourée des nombreux enfans du bey. Les plus âgés prenaient leur leçon de lecture sous sa direction, tandis que les deux plus jeunes, le petit Ahmed, fils d’Ibrahima, et la dernière fille de Maléka, étaient établis chacun sur l’un des genoux de la mère adoptive,