Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/910

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

assise auprès de son lit, et l’enfant, qui sentait sa présence, même sans la voir ni l’entendre, eut l’incroyable force d’âme de traverser les angoisses de l’agonie sans faire entendre une plainte ni donner aucun signe de vie. À quelle heure du jour ou de la nuit le sommeil et l’immobilité cessèrent-ils d’être des apparences de mort et devinrent-ils la réalité ? Qui pourrait le dire ? De temps à autre, Zobeïdeh s’approchait doucement et posait la main tantôt sur son front, tantôt sur sa poitrine ; mais l’enfant ne frémit jamais à ce terrible contact. Une fois enfin Zobeïdeh recula en sentant un front glacé et des membres raidis. Ismaël était mort. Avait-il emporté son secret dans la tombe, ou l’avait-il confié à sa jeune sœur ? Tout entière à l’idée d’éviter des révélations qui amèneraient infailliblement sa perte, Zobeïdeh était prête désormais à s’affranchir sans pitié de quiconque pourrait trahir son horrible secret : elle s’appliqua donc à découvrir si la jeune sœur d’Ismaël avait reçu les confidences de son frère, et sut bientôt à quoi s’en tenir.

Dès le lendemain matin, cette enfant nommée Dundush profita d’un moment où elle se trouvait seule avec Zobeïdeh pour lui dire tout bas, sans pourtant lever les yeux sur elle : — Ne serait-il pas bien de faire avertir notre oncle des malheurs qui nous sont arrivés ? — La Circassienne se dit aussitôt qu’elle était trahie, que la petite fille attendait son oncle pour lui tout apprendre, conformément aux avis d’Ismaël. Elle prit un air gracieux et feignit d’approuver la petite, l’assurant même que déjà, lors de la mort d’Ahmed, elle avait devancé son désir en envoyant quérir celui que les enfans appelaient leur oncle, et qui était en réalité l’oncle d’Osman du côté maternel ; mais le parent du bey ne s’était pas rendu à son invitation : il était retenu à la campagne pour un jour ou deux. Elle l’attendait le surlendemain au plus tard. Dundush respira plus librement, comme si elle se sentait soulagée d’un grand poids, et elle se montra plus calme, bien que toujours préoccupée.

L’oncle d’Osman était un bon vieux Turc de l’ancienne école que la nature avait médiocrement doué du côté de l’esprit, qu’une longue vie oisive et sensuelle avait complètement hébété, et qui n’aimait plus guère au monde que sa pipe et son café. C’est à ce brave musulman que le bey avait recommandé sa famille avant de partir, c’est à lui que la Circassienne était tenue de s’adresser en toute circonstance grave ou embarrassante. La mort subite et presque simultanée de deux enfans était sans contredit un des cas où le recours à l’oncle d’Osman devenait indispensable. Zobeïdeh comprenait qu’il était difficile de garder un plus long silence vis-à-vis de ce personnage ; mais Ismaël avait confié ses soupçons à Dundush, elle n’en pouvait douter, et quelque stupide que fût le vieillard, il ne resterait certainement pas insensible à de pareilles révélations. Il