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— Serait-il vrai ? serait-il possible ? s’écria Kassiba avec transport. Ah ! dis-le encore, mamma Zobeïdeh, répète-le, car cela me fait tant de bien !

Et la tendre fille entourait de ses bras le cou de Zobeïdeh et se cachait le visage contre sa poitrine ; puis, se relevant soudain et se retirant avec un frémissement d’épouvante, elle ajouta : — Non, non ! Dundush n’avait pas le délire, ni Ismaël non plus. Hélas ! hélas !

Le doute n’était plus possible, Dundush avait tout dévoilé à sa sœur avant de mourir, et il fallait maintenant ou vivre au milieu des plus effroyables dangers ou sacrifier une autre victime. Et celle-ci n’était pas un enfant capricieux et ingrat qui avait repoussé l’amour de Zobeïdeh et dédaigné sa tendresse ; c’était plus qu’une fille pour elle, c’était la créature la plus douce, la plus tendre et la plus dévouée. Zobeïdeh poussa un profond soupir. En ce moment, son plus grand souci n’était pas de connaître les intentions de Kassiba, de pénétrer ses projets ; sa crainte la plus vive, c’était de voir ce regard, jusque-là si rempli de tendresse, se détourner d’elle, c’était d’avoir perdu la confiance et l’amour de Kassiba. — Elle seule m’aimait comme je veux être aimée ; m’aura-t-on dérobé ce dernier trésor ?

C’est sous l’influence de cette crainte qu’elle résolut d’avoir une explication complète avec Kassiba. Elle ne pouvait pas feindre de se méprendre plus longtemps sur la nature du trouble que Kassiba n’avait pu lui cacher. Elle ne pouvait à la vérité repousser des soupçons qui ne lui avaient pas été exprimés, et qui étaient trop affreux pour qu’elle pût les deviner sans se reconnaître coupable ; mais rien ne l’empêchait par exemple de supposer des accusations peu graves, et, en se justifiant de celles-ci, de se laver implicitement de celles qu’on n’avait pas formulées.

Elle choisit un moment où Kassiba était seule avec elle, et, l’attirant doucement sur ses genoux, elle lui dit qu’elle craignait fort que la pauvre Dundush ne lui eût fait d’injustes plaintes en l’accusant de froideur à l’égard des enfans d’Osman-Bey. Elle faisait Kassiba elle-même juge entre les rêveries de sa sœur mourante et les témoignages d’affection qu’elle n’avait cessé de prodiguer également à tous les enfans de son maître. Ne les avait-elle pas soignés jour et nuit pendant toutes leurs maladies et sans même accorder aucune préférence aux siens propres ? Pourquoi avait-elle consenti à demeurer à Stamboul pendant que son mari voyageait ? N’était-ce pas évidemment pour ne point laisser les enfans aux soins d’esclaves négligentes ? Maléka ne connaissait-elle pas son cœur, et ne lui avait-elle pas confié ce qu’elle avait de plus cher au monde ? Mais qui ne sait combien les enfans malades sont capricieux et injustes ? Savent-ils seulement ce qu’ils disent, ce qu’ils veulent ? Zobeïdeh ajouta qu’ignorant sur quel sujet les plaintes de Dundush avaient