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Kassiba avait reçu de la nature une constitution délicate, que la précocité de son intelligence et de son cœur avait encore ébranlée. Aussi ne résista-t-elle pas longtemps aux émotions violentes et douloureuses qui s’entre-choquaient dans son esprit. Si elle avait cru à l’innocence de la Circassienne tant qu’elle s’était trouvée en bonne santé, que devint-elle, la pauvre enfant, lorsqu’elle se sentit atteinte d’un mal inconnu, qu’elle vit son visage pâlir et son corps devenir plus grêle et plus lourd en même temps, son estomac refuser toute nourriture, et le sommeil fuir ses paupières ! Elle se dit que sa sœur ne s’était pas trompée, que Zobeïdeh la haïssait maintenant comme elle avait haï ses autres victimes, et elle se reprocha amèrement de ne pas savoir arracher encore cet amour de son cœur. — Un mauvais esprit la pousse aujourd’hui, se disait-elle, et lui ferme les yeux ; mais quand elle m’aura précipitée avec les autres dans le tombeau, lorsqu’elle ne me verra plus à ses côtés, elle gémira de mon absence. Qui donc l’aimera comme je l’aime ? Qui la soignera ? qui la consolera ?

La jeune fille ne se dissimulait pourtant pas qu’elle pouvait bien être malade et mourir sans que Zobeïdeh fût criminelle, et elle s’indignait alors contre elle-même pour les soupçons qu’elle ne parvenait pas à chasser. En ces momens, elle avait hâte de mourir, pendant que la maladie la tuait seule ou pendant que le crime de Zobeïdeh lui paraissait encore douteux. De pareilles tortures ne pouvaient toutefois s’acharner impunément sur une nature aussi délicate. Bientôt Kassiba tomba gravement malade et fut réduite à garder le lit, signe de mort prochaine en Orient. Zobeïdeh n’hésita pas à envoyer chercher un médecin, et n’eut seulement pas la pensée d’attribuer la maladie de Kassiba à la contagion. Sa seule pensée à cette heure était de conserver l’enfant de Maléka, et ce désir avait remplacé pour le moment dans son cœur le besoin furieux d’être exclusivement aimée par Osman, et même l’effroi d’une découverte qui rendrait cet amour impossible.

Le médecin se présenta donc, et examina la petite malade. Il ne donna que peu d’espoir. Le moral de l’enfant lui semblait être la cause principale de sa maladie ; cependant il remarqua aussi que ses forces étaient épuisées par une fièvre lente qui s’allumait chaque jour sous l’influence d’un chagrin mystérieux. À moins d’un changement complet dans la disposition d’esprit de la malade, il ne pouvait donc que former les plus tristes présages. La visite du médecin et les questions qu’il avait adressées à Kassiba avaient été pour celle-ci une source de cruels déchiremens. Elle craignait par-dessus tout de faire quelque réponse qui éveillât les soupçons du docteur ; mais elle s’efforçait en même temps de lire sur son visage et dans ses paroles ce qu’il pensait de la cause de son mal, et l’air soucieux