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l’en convaincre la frappant de nouveau, elle secoua la tête, pressa son front entre ses mains, et s’écria : — Hélas ! puis-je le croire ? Est-ce la vérité ? Ah ! la vérité, où est elle ? Ne la saurai-je jamais ?

— Tu vas la savoir, mon enfant ; tu vas tout savoir à l’instant même, car j’y suis décidée. J’ai vainement essayé jusqu’ici de te tromper pour dissiper tes terreurs, et puisque tes soupçons ne peuvent être détruits par le mensonge, et qu’ils te tuent, apprends la vérité, et sache jusqu’à quel point tu dois me maudire ou tu peux m’aimer et me plaindre…

— Tu ignores, ma pauvre enfant, reprit Zobeïdeh après une courte pause, avec quelle folle passion j’ai aimé et j’aime toujours ton père ; tu ne peux comprendre par conséquent tout ce que je souffre lorsqu’il m’amène une nouvelle compagne, une nouvelle rivale. Quoique violente et vindicative, je ne suis pourtant pas injuste. Ta mère n’est-elle pas aussi ma rivale ? N’est-ce pas elle qui m’a fait connaître la première ces tourmens ? Et pourtant l’ai-je haïe ? Ai-je essayé de lui nuire ? N’ai-je pas ressenti ses offenses comme les miennes propres ? Ta mère est ma plus chère amie, et je ne crois pas qu’elle en possède de plus dévouée. Je l’ai aimée dès que je l’ai connue, et toi-même, pourquoi me suis-je senti d’abord le cœur d’une mère pour toi ? Avant de t’aimer pour toi-même, je t’ai aimée pour Maléka, et c’est elle que j’ai aimée en toi. Pourquoi n’en a-t-il pas été de même pour mes autres rivales ? Si elles avaient été dignes de l’amour d’Osman, je leur aurais pardonné. Je ne te dirai pas toutes mes douleurs, tous mes combats ; mais souviens-toi seulement des traitemens indignes qu’Ibrahima me fit subir. Je la détestais, et je détestais son enfant. Pourquoi me l’a-t-on confié ? Pourquoi m’a-t-on rendue maîtresse de lui, de sa vie ? Pourquoi m’offensait-on encore en me le livrant, et oubliait-on combien il m’était facile de venger en un instant mes injures passées et mon abandon présent ? Je crus reconnaître la main d’une puissance surhumaine et vengeresse dans cet aveuglement de mon injuste époux. Cet enfant me rappelait à chaque instant sa mère. Enfin… ne tremble pas, Kassiba, ne te détourne pas de moi, rassemble ton courage pour m’entendre jusqu’au bout,… c’est moi qui ai tué Ahmed…

Un silence de plusieurs minutes suivit cet aveu. C’était le premier que faisait Zobeïdeh, et sa voix résonnait singulièrement à son oreille. Soit qu’elle connût trop bien son sujet, soit qu’une force intérieure et secrète lui dictât sa pénible confession, la Circassienne croyait parfois entendre une voix étrangère prononcer les mots qui sortaient de ses lèvres. Cette histoire, qu’elle portait depuis si longtemps en elle-même, lui semblait toute nouvelle et hideuse dans sa nouveauté. Cette femme qui n’oubliait aucune injure, qui répondait