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Une fois arrivé dans sa résidence nouvelle, il monta sa maison, c’est-à-dire son écurie, son harem et son salemlick. Il remplit la première de beaux chevaux, le second d’esclaves du sexe féminin, et le troisième d’esclaves du sexe masculin. Il dépensa beaucoup d’argent et fit de belles et de nombreuses acquisitions, de trop belles et de trop nombreuses dans un sens, car l’indulgente Maléka elle-même se sentit froissée. Je suis portée à croire que rien ici-bas, ni l’habitude, ni même l’indifférence, ne rend une femme complètement insensible aux infidélités de son mari puisque Maléka ne vit pas sans mécontentement la multitude d’odalisques de toutes les nuances et de tous les genres qu’Osman plaça sous sa sauvegarde et sous son gouvernement. Elle ne fut pas tentée d’imiter Zobeïdeh, mais elle ne put se défendre de penser quelquefois que la terreur que la Circassienne inspirait à leur commun époux n’était pas sans exercer sur sa conduite une influence quelque peu salutaire.

Ce tourbillon de beautés nouvelles et de fantaisies satisfaites se succédant les unes aux autres avec une rapidité qu’explique seulement la contrainte dans laquelle il avait vécu jusque-là rendit au bey comparativement supportables les nouvelles qu’il reçut de Stamboul. Le bon parent à qui Osman avait recommandé sa famille avait été appelé par Zobeïdeh après la mort des quatre enfans. Il avait trouvé la mère de famille plongée dans le plus amer désespoir, et il n’avait tiré d’elle que des pleurs et des lamentations. Il avait entendu les esclaves parler de contagion, et le médecin avait été mandé. Le parent n’en savait pas davantage. J’ai déjà remarqué combien la langue turque se prête mal aux récits quelque peu détaillés ou compliqués, ainsi qu’à l’expression des idées ou des sentimens subtils ou raffinés. Le parent avait donc jugé convenable de suivre avec Osman le procédé même qu’Osman avait suivi naguère avec Zobeïdeh. Il avait attendu qu’une personne de sa connaissance se rendit dans la ville qu’habitait Osman, et il l’avait chargée de présenter à celui-ci une lettre par laquelle il invitait à prêter l’oreille et à donner créance au récit que lui ferait le messager. Or ce messager n’avait jamais entendu parler d’Osman-Bey ni de sa famille ; il avait appris du vieux parent une histoire assez embrouillée que la faconde de celui-ci ne rendait pas plus claire ; il avait voyagé ensuite pendant trois ou quatre semaines ; il n’y a donc pas lieu de s’étonner s’il ne communiqua au caïmacan que des nouvelles assez peu précises. Qu’il eût perdu quatre enfans, Osman ne pouvait en douter ; mais lesquels ? et de quel mal ? Le souvenir du farouche regard de Zobeïdeh le fit frémir, et il conçut même l’héroïque projet d’aller sauver les enfans qui lui restaient ; pourtant son insouciance habituelle reprit bientôt le dessus. — J’ai perdu quatre enfans en quelques jours, se dit-il ; pareille chose est arrivée à d’autres. C’est