Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/938

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Que dans le sommeil le plus lourd dans celui qu’on nomme sommeil de plomb, l’âme en soit réduite là, qu’elle ne perçoive plus, dans ce tombeau du corps, comme disait Socrate, où elle est ensevelie, que le bruit des grains de sable qui s’en détachent, mais enfin qu’elle le perçoive, il suffit, elle sent, elle veille, et il n’y a jamais pour elle de sommeil absolu.

À ces raisons de fait s’en ajoute une autre d’une grande force : c’est que, dans un sommeil véritablement absolu, l’âme, ne sentant, n’agissant, ne pensant plus, n’aurait par conséquent aucune manière d’exister ; elle serait donc morte. Que de morts à ce compte et que de résurrections dans la vie d’une âme ! Or l’âme ne meurt jamais, ni plusieurs fois, ni une seule. Lancée dans la vie, elle y marche sans halte, sans retour. Le repos de l’âme n’est qu’un moindre travail, ses temps d’arrêt qu’une course ralentie, son sommeil qu’une moindre veille. Un de nos maîtres dont l’autorité en pareille matière est incontestée, M. Adolphe Garnier, objecte ici que, dans le sommeil absolu, l’âme ne serait pas morte, mais seulement en puissance, et toujours prête à passer à l’acte, comme ces blés retrouvés dans les cercueils des momies d’Égypte et qui, ayant conservé à l’état latent pendant des siècles leur puissance de germination, ont produit, une fois remis en terre des tiges énormes et de superbes épis. À cela je pourrais répliquer : Pourquoi le blé des momies ne serait-il pas demeuré tout ce temps à l’état de force tendue, s’essayant, mais en vain, faute de conditions favorables, à produire son effet ? Rien ne prouve le contraire. Or un tel effort serait de l’action encore. Dans ces régions de la force invisible, où ma raison et ma conscience m’éclairent, je conçois bien une force agissant infiniment peu, assez peu même pour ne point, s’user en quatre mille années ; mais une forcé absolument inerte, j’ai beau faire, je ne la comprends pas plus que ne la comprenait Leibniz.


II

Le sommeil du corps et le sommeil de l’âme ne sont donc qu’une moindre veille : voilà ce que dit la science actuelle de l’homme, et nous l’en croyons. Si pourtant elle s’arrêtait là, nous n’en saurions assez ni sur le sommeil lui-même, ni sur les états morbides que l’étude du sommeil doit servir à expliquer jusqu’à un certain point. Il faut donc que la science aille plus loin, et qu’elle nous enseigne en quoi consistent au juste l’activité nocturne du corps et la vie endormie de l’esprit, et en quel état leur réciproque influence place le principe spirituel.

Maine de Biran et Jouffroy, MM. Lélut et Lemoine sont unanimes à reconnaître que l’âme ne dort pas absolument. Seulement ces divers