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crise arrivera. On objecte encore cette différence, que dans le somnambulisme l’esprit du sujet obéit à la volonté de son partenaire, ce qui n’a pas lieu ailleurs. D’abord cette obéissance est fort capricieuse, puis on oublie qu’il est possible de diriger les rêves d’un dormeur ordinaire, témoin cet officier de marine à qui ses camarades faisaient rêver ce qu’ils voulaient, et par exemple qu’il se jetait à la mer pour sauver quelqu’un : sur quoi il se précipita de son lit et s’éveilla en tombant sur le plancher de sa cabine. C’est encore un argument bien faible que celui-ci : le somnambule entend le magnétiseur, mais il n’entend que lui. Cela est possible ; seulement la chose se remarque aussi chez le dormeur ordinaire, qui ne perçoit des bruits du dehors que ceux qui entrent naturellement dans la contexture de son rêve. D’ailleurs certains somnambules, quoique endormis, entendent tout le mondd et répondent au premier venu. On a beau faire, on ne trouve rien qui distingue essentiellement le sommeil magnétique du sommeil naturel, rien par conséquent qui nécessite l’intervention du fluide magnétique. Enfin, et pour comble, ce fluide, dont rien ne démontre l’existence n’explique absolument rien ; ce n’est qu’un embarras de plus. C’est une pure cause occulte, sans réalité à la fois et sans utilité. « En cherchant la cause imaginaire du magnétisme animal, dit M. Arago, on a constaté la puissance que l’homme peut exercer sur l’homme, sans l’intermédiaire immédiat et démontré d’aucun agent physique. On a établi que les gestes et les signes les plus simples produisent quelquefois de très puissans effets ; que l’action de l’homme sur l’imagination peut être réduite en art, du moins à l’égard des personnes ayant la foi. »

Que le magnétiseur agisse sur l’âme du somnambule en frappant son imagination, qu’il excite, en provoquant artificiellement l’engourdissement des organes, certaines facultés qui s’exaltent dans le sommeil, toujours est-il certain qu’il n’a atteint l’âme qu’en passant par les organes, et que tout son ouvrage a été de faire d’un homme éveillé un homme endormi, dont le sommeil, pour être morbide, n’a rien que l’on ne retrouve dans le sommeil ou dans le somnambulisme ordinaire. Ce résultat, il l’a obtenu par une influence qui paraît être morale ; il n’est pas prouvé du tout que cette cause ait eu pour auxiliaire une action physique, de quelque nature qu’elle soit.

Mais si le somnambule magnétique n’est qu’un dormeur qui sommeille, rêve et délire, comment croire qu’il soit doué de facultés extraordinaires ? Comment admettre qu’il y ait en lui une puissance divinatoire ? Il a des visions, des fantômes, des hallucinations, des souvenirs, et son imagination, échauffée par la crise nerveuse, dirigée d’ailleurs par l’artisan du magnétisme, lui suggère des discours où semblent éclater des connaissances et une pénétration refusées