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dispersées dans toutes les directions, d’empêcher qu’elles ne se réorganisent sur d’autres points du territoire, et de procéder au jugement des chefs qui ont dirigé, ou encouragé le mouvement. Le gouvernement anglais aura ensuite à rétablir l’ordre, à réformer l’administration civile, à régulariser la perception des impôts, enfin à organiser un nouveau système de défense militaire qui rende moins dangereux désormais l’emploi de troupes indigènes ; car, malgré la défiance que doit inspirer l’exemple récemment donné par les cipayes, on ne saurait renoncer à l’élément indigène pour le recrutement de l’armée chargée de la garde de l’Inde : lors même que l’on doublerait l’effectif des troupes européennes et qu’on le porterait à quatre-vingt mille hommes, ce chiffre serait tout à fait insuffisant pour couvrir l’immense étendue de territoire que possède la compagnie. Ce sont là de bien graves questions, qui préoccupent tous les esprits en Angleterre, et qui s’élèvent au-dessus des luttes ordinaires auxquelles se livrent les partis politiques : on peut en juger par l’agitation qu’a produite au sein du parlement la présentation des deux bills sur le gouvernement de l’Inde. Le projet de lord Palmerston et celui de M. Disraeli vont se trouver en présence ; l’un et l’autre sont très violemment attaqués, et il faut s’attendre à voir surgir de nouvelles combinaisons qui viendront compliquer ce débat, déjà si difficile. Quoi qu’il en soit, et sans anticiper sur la discussion parlementaire qui doit prochainement s’engager, on peut dire que la prise de Lucknow et la compression matérielle de la révolte ont éclairci la situation et dissipé en grande partie les embarras politiques que l’Inde créait à l’Angleterre.

Quant à l’expédition de Chine, elle éprouvait, à la date des dernières nouvelles, une sorte de temps d’arrêt. Après la prise de Cantona, les représentans de la France et de l’Angleterre ont adressé au souverain du Céleste-Empire des dépêches indiquant les concessions politiques et commerciales qu’ils se croyaient fondés à réclamer au nom de l’intérêt européen et dans l’intérêt même du peuple chinois. L’amiral Poutiatine et M. Reed se sont volontiers associés à cette démarche pacifique, et ils ont exprimé de la part de la Russie et des États-Unis les mêmes demandes. Jusqu’à ce que la réponse de l’empereur arrive de Pékin, les hostilités demeurent nécessairement suspendues. Les alliés continuent à occuper Canton, où ils essaient de rétablir l’ordre, et ils ont même levé le blocus de la rivière, afin de ranimer, si cela est possible, les affaires commerciales, dont l’interruption a causé de graves dommages aux négocians anglais de Hong-kong. Malheureusement il ne paraît pas que cette mesure ait produit dès le début les résultats que l’on espérait : le commerce est resté nul, les marchands chinois n’ont pas donné signe de vie, et ils se tiennent dans la plus complète réserve. Obéissent-ils à des ordres secrets émanés du gouvernement chinois ? Craignent-ils, en renouant des relations avec les Européens, de se compromettre aux yeux des mandarins ? Veulent-ils employer contre les étrangers la force d’inertie, et espèrent-ils obtenir par ce procédé des conditions plus avantageuses pour l’évacuation de Canton ? Ce sont des hypothèses qu’il est plus facile d’exposer que de résoudre. Les négocians anglais se montrent très impatiens, et voudraient que les escadres alliées reprissent immédiatement les hostilités en se portant vers le nord et en montrant leurs pavillons dans le golfe de Petchili. Cette impatience est légitime, car chaque jour de délai augmente les