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et des plus spirituelles personnes du Kentucky, miss Julia Alvarez. Remerciez-moi d’avance, et oubliez un instant Swedenborg ; elle n’aime pas les puritains.

— Si elle est loin de Dieu, dit gravement Lewis, que Dieu la ramène à lui !

— Elle n’est ni loin ni près, mon cher ami. Elle a vingt-deux ans, elle est belle, riche, généreuse et fort bonne catholique. Elle aime la messe, la musique, la danse ; elle aime aussi son prochain, ce qui est fort rare en ce pays. Par malheur, elle a du sang noir dans les veines. Sa mère était quarteronne, esclave d’un Espagnol de la Nouvelle-Orléans, le señor Alvarez. Ce fâcheux mélange de sang africain l’exclut à jamais de la bonne compagnie d’Oaksburgh. Tel gentleman crotté qui devrait être heureux de baiser la semelle de ses pantoufles la regarde avec mépris.

— Et vous avez le courage d’être son ami ? Cela est beau.

— Non. Je suis Français, et à ce titre en dehors de la loi commune. Ce qui choquerait de la part d’un Américain n’est chez moi qu’une amusante excentricité ; je passe pour un original : voilà tout.

— Est-ce que vous demeurez chez cette jeune dame ?

— Oui, je suis son associé.

Dick rentra.

— Maître, miss Julia veut vous parler.

Acacia sortit du parloir, et l’Anglais resta seul. Il entendit un bruit léger comme un souffle ; c’était un baiser : sur la main ou sur les lèvres ? Le bon Lewis ne put décider la question. Ce baiser fut suivi d’une conversation à voix basse qui dura quelques minutes. Enfin Acacia revint, donnant le bras à miss Julia.

Qu’elle était belle ! Sa taille était fine et souple, ses épaules larges, et son sein admirable. Tout son corps, divinement modelé par la nature, avait la rondeur et la fermeté des statues de marbre. Sa figure, pleine de joie, de grâce et de gaieté, était attrayante et voluptueuse. On devinait dans ses yeux toute l’ardeur du sang d’Afrique et d’Espagne.

— Miss Alvarez, dit Acacia, je vous présente M. John Lewis, Anglais du comté de Kent, swedenborgien de profession, et mon ami depuis vingt-quatre heures.

— Vos amis seront toujours les miens, dit gracieusement Julia. Dick, faites porter du sherry. Vous arrivez d’Angleterre, monsieur ? ajouta-t-elle.

— Oui, miss Alvarez, depuis un mois. Je viens prêcher l’abolition de l’esclavage au Kentucky.

Julia rougit et se mordit les lèvres.

— Chut ! dit le Français, ne parlons pas politique.