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Voici quelque chose de plus grave. L’ancienne Alise, dit M. Quicherat, devait occuper tout le plateau ; les guerriers gaulois n’entrèrent dans la ville qu’après le départ de la cavalerie. Où placer pendant les premiers jours du blocus 80 000 fantassins, 8 ou 10 000 cavaliers avec leurs chevaux et de nombreux troupeaux ? Comment plus tard les 80 000 soldats que Vercingétorix garda auprès de lui et les 20 ou 25 000 âmes qui représentaient la population mandubienne[1] purent-ils tenir dans cent ou cent cinquante hectares[2] ? Nous ferons d’abord deux observations : 1° César ne dit pas que toute l’armée ennemie campe à son arrivée hors de la ville, mais que tout le versant oriental de la montagne sous le mur de la place était couvert de troupes gauloises ; il est donc permis de croire que dès le premier jour une partie des soldats de Vercingétorix entrèrent avec lui dans l’enceinte même d’Alesia ; un corps plus ou moins nombreux resta dans le camp retranché jusqu’au départ de la cavalerie, et ceci n’a rien d’impossible dans l’hypothèse du Mont-Auxois. 2° Il y a peu à se préoccuper des troupeaux, le général en chef s’étant empressé de partager le bétail à ses soldats. S’il avait pu parquer et nourrir ce que dans notre langue militaire on appelle la viande sur pied, il n’en fût pas venu à une résolution pareille. S’il avait disposé d’espaces considérables, comme sur le massif d’Alaise, il aurait pris pour le bétail des mesures analogues à celles qu’il prit pour les grains. Maintenant il est certain que cent et quelques mille âmes devaient être assez à l’étroit dans cent et même dans cent cinquante hectares. Il faut cependant remarquer que ces sortes d’entassemens n’ont rien d’inusité chez les peuples peu civilisés ; alors non plus on n’avait pas à craindre les ravages de l’artillerie, qui, de nos jours, rendraient impossible une semblable agglomération d’êtres humains. Il peut sembler puéril de rappeler que la poudre n’était pas inventée au temps de César ; mais il est plus difficile qu’on ne le pense de soustraire son esprit à certaines habitudes devenues en quelque sorte machinales. Enfin nous répéterons qu’il est bien difficile de

  1. Dans sa nouvelle brochure (page 30), M. Quicherat porte, d’après Plutarque, ce dernier chiffre à 90 000 ; mais, s’il faut s’en rapporter au philosophe de Chéronée, la population mandubienne eût dépassé 200 000 âmes, car il fixe à 170 000 le nombre des combattans (μαχομένων) enfermés dans Alesia. Retranchons 80 000 soldats de Vercingétorix, restent 90 000 Mandubiens en état de porter les armes, ce qui suppose plus du double de femmes, d’eufans et de vieillards. Ce serait donc près de 300 000 créatures humaines que Vercingétorix aurait dû nourrir, et ce ne serait qu’après cinq ou six semaines de blocus qu’il se serait décidé à faire sortir les bouches inutiles. Un pareil prodige est-il croyable ?
  2. M. Quicherat, se rapportant aux mesures du commandant Du Mesnil, dit cent hectares ; mais M. de Coynart fait remarquer avec raison qu’aux cent hectares de plateau il convient d’en ajouter cinquante, représentant la partie des versans qui forme corniche au-dessus de la ceinture de rochers.