rieuse, où il avouait naïvement qu’il avait jusqu’alors pensé posséder une croyance, et qu’il avait tout au plus possédé une opinion. C’était folie que de dépenser son temps et les ressources de son esprit à pénétrer des choses dont nous ne pouvions rien savoir, et qui ne regardaient après tout que la vie future. Puisque nous vivions de la vie terrestre, c’est de la terre qu’il fallait nous occuper. M. Brownson jetait, comme on dit, le manche après la cognée. Il renonçait à la recherche de la vérité religieuse. Après tout, il avait des sens capables d’apprécier les choses sensibles; il s’en servirait dorénavant, ce qu’il n’avait pas fait jusqu’alors. La clé de tous les problèmes qui l’avaient tourmenté était peut-être dans la vie pratique, et le meilleur moyen de servir Dieu et de conquérir la vie éternelle était de développer les facultés que nous avions reçues, de manière à travailler à notre perfectionnement moral et au bonheur de nos semblables.
Voilà une honnête pensée, direz-vous, et qui ne peut avoir que des conséquences méritoires!... Eh bien! cette pensée contenait cependant en germe toutes les erreurs socialistes de M. Brownson. A partir de ce moment, il se mit à travailler avec frénésie au bonheur du genre humain. Comme le nouveau but qu’il s’était proposé d’atteindre était tout terrestre, il n’y avait pas à perdre un seul instant. La vie est courte, et la tâche était longue. Aussi ne laisse-t-il passer aucune occasion de régénérer l’humanité. L’insuccès ne lui faisait pas peur. « Si nous avons échoué aujourd’hui, disait-il, nous réussirons demain. » Il se jeta donc précipitamment, avec une ardeur empressée et une foi aveugle, dans toutes les utopies de notre temps; il prit de toutes mains et sans choisir. Nous avons déjà remarqué que M. Brownson ne semblait établir aucune différence entre les doctrines dogmatiques et les doctrines critiques. Il avait cru à l’universalisme sans réfléchir que de semblables doctrines sont excellentes non comme théorie, mais comme critique de systèmes trop absolus. Elles servent à nous délivrer de la tyrannie morale des écoles et des sectes et à tenir en équilibre la balance de l’esprit humain, lorsqu’il incline trop fortement d’un seul côté. Ces doctrines sont bonnes comme critiques de l’état social, moral ou religieux, sans avoir par elles-mêmes aucune grande valeur. Ce n’est pas aux paroles qu’elles prononcent qu’il faut s’attacher, mais au sentiment qui a dicté ces paroles. Comment se fait-il par exemple qu’au début de sa carrière socialiste, M. Brownson se soit entêté si longtemps à s’infuser les erreurs qui remplissent le livre de Godwin sur la justice politique? C’est un livre qu’on doit lire comme on lit le Discours sur l’inégalité des conditions de Jean-Jacques Rousseau, non pour les théories qu’il contient, mais pour le sentiment qui l’anime. Le plus énergique esprit de justice respire dans ce livre, éloquent