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de la convention, démarche reconnue nécessaire par le secrétaire d’état, mais qui, en coïncidant avec sa retraite, prendrait inévitablement un caractère hostile à la France et suspect à ses partisans. Un nouveau congrès allait se réunir, plus nombreux et d’un moins bon esprit que le précédent. Il importait qu’au début de la session les républicains ne fussent pas complètement abandonnés à eux-mêmes. Washington insista donc pour que son ministre ne se séparât point de lui avant la fin de l’année. Après mûre réflexion, Jefferson y consentit. Sa situation était en réalité plus désagréable que dangereuse. L’opinion s’était retournée, mais il pouvait se retourner avec elle sans courir le risque de perdre son armée. Les démocrates s’obstinent rarement à tenir tête au public : l’état du pays rendait nécessaire un changement d’attitude ; le parti républicain le comprendrait aisément. Quelques furieux pourraient se séparer un instant de leur chef, mais ils reviendraient à lui. Le jour même où Jefferson retira officiellement sa démission (11 août 1793), il envoya le mot d’ordre suivant à Madison : « Le parti républicain ferait sagement d’approuver sans équivoque l’état de neutralité, d’éviter toute petite chicane sur la compétence du pouvoir qui l’a déclaré, d’abandonner entièrement M. Genêt avec force protestations d’amitié pour son pays. De cette façon nous mettrons le peuple de notre côté, en nous mettant nous-mêmes du bon côté. « Il donna immédiatement à Gouverneur Morris l’ordre de demander à Paris le rappel de M. Genêt, et comme celui-ci, exaspéré par la mesure dont il était l’objet, redoublait d’insolence, Jefferson lui rompit en visière avec un superbe dédain. Ses amis l’approuvèrent, ses ennemis se turent ; Washington lui sut gré de la vigueur avec laquelle il avait soutenu la cause du gouvernement américain. Pour comble de bonne fortune, les actes vexatoires de la Grande-Bretagne sur la presse des matelots et l’approvisionnement de la France par les neutres vinrent bientôt placer les partisans de l’alliance anglaise dans une situation semblable à celle que M. Genêt avait faite aux amis de la France. Jefferson regagna un véritable ascendant sur le conseil. Dans presque toutes les discussions, son avis prévalut, et lorsqu’arriva le terme qu’il avait à l’avance fixé à ses travaux, il se retira triomphalement, emportant la confiance de la nation et de son chef, et léguant à son parti un grand rapport au congrès en faveur d’un système de représailles contre la Grande-Bretagne par voie de règlemens commerciaux, l’un des thèmes favoris de la politique républicaine (31 décembre 1793).