Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 15.djvu/397

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la perte en officiers avait été énorme ; il en était résulté une extrême confusion dans les rangs. Les régimens de Taroutino et de Borodino, qui paraissent s’être conduits mollement, étaient descendus jusque dans les Carrières. Ils ne purent même s’y maintenir, et passèrent la Tchernaïa pour ne plus reparaître de la journée.

Voyant l’inaction des Russes, sir George Cathcart prit sur lui, dit lord Raglan, de descendre dans le ravin des Carrières avec la 2e brigade (Torrens) de sa division, et de longer ainsi la pente des monts Sapoun, pour se jeter sur le flanc gauche des Russes. Pendant qu’il exécutait ce mouvement, les régimens d’Okhotsk, d’Yakutsk, de Selensky, et l’artillerie de réserve, qui avaient fait le long détour de la route des Sapeurs, apparaissaient enfin sur le plateau. Il était facile de voir aux uniformes usés des survenans, à leur visage bronzé, à leur attitude martiale, que ceux-ci étaient de vieux soldats aguerris ; ils étaient pleins d’ardeur et chantaient en chœur l’hymne : « Dieu sauve le tsar ! » Le général Dannenberg courut au-devant de ces régimens, les anima du geste et de la voix, et, à mesure qu’ils arrivaient, les lança sur les Anglais, Okhotsk à la droite, Yakutsk au centre, Selensky à la gauche. Ce dernier régiment se trouva donc couronner les pentes du ravin des Carrières juste au moment où sir George Cathcart, avec sa brigade, arrivait au fond du ravin[1]. Les Russes les accueillent par une décharge si meurtrière qu’elle arrête net leur mouvement. Sir George Cathcart s’efforce de reporter ses soldats en avant, mais le feu des Russes devient si violent qu’il se voit obligé d’y renoncer. Le brigadier Torrens parvient cependant à rallier le 68e régiment, lui fait mettre l’arme au bras et se jette en avant, de sa personne, pour l’entraîner ; à quelques pas de là, il tombe grièvement blessé. La perte de ce chef décourage les soldats, qui tournoient et se remettent à tirailler. Le régiment de Selensky, ayant l’avantage du terrain, les écrase de ses feux réguliers et les rejette en désordre sur les pentes des monts Sapoun. Sir George Cathcart est blessé à mort, abandonné par ses troupes à l’héroïque amitié du colonel Seymour, son adjudant-général, qui se fait tuer à ses côtés. Le régiment de Selensky, ramenant devant lui une multitude en désordre, qu’il poursuit la baïonnette dans les reins, gravit la pente opposée. Au même moment, un boulet abat quatre chevaux d’une batterie française qui avait été amenée sur ce point ; une de ses pièces est prise et enclouée. Les Russes arrivent ainsi sur la batterie des Sacs-à-Terre. Le magnifique régiment de Coldstream, fort de 700 hommes, l’occupait ; il attend les Russes à petite portée, et, par la précision de son feu, arrête pendant longtemps tous leurs efforts.

  1. Une erreur du capitaine Anitschkof rend toute cette partie de sa relation incompréhensible. Nous avons donc suivi la relation anglaise.