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il voyait la marquise veillant avec une affection jalouse sur son enfant adoptif, et prête à taxer d’ingratitude toute volonté contraire à la sienne qu’eût manifestée son jeune élève. Ne valait-il pas mieux, par des conseils donnés à propos, habituer Guillermo à envisager sans illusion la destinée qui lui était faite ?

Le tout était d’y réussir ; mais ce que n’auraient pu faire la raison ni la force, une affection égoïste sut l’accomplir. Alarmée par la conversation que don Cajetano venait d’avoir avec elle, la marquise combla son fils adoptif de prévenances et de cajoleries. Elle le choyait comme un enfant, lui parlait de sa petite voix la plus tendre et allait au-devant de tous ses désirs. Elle s’obstinait à cultiver comme une plante délicate ce jeune homme plein de sève et de santé chez qui elle voulait exciter à tout propos les élans d’une reconnaissance enfantine. Un jour cependant qu’elle le voyait se promener rêveur dans les allées du jardin, il lui prit comme un remords ; elle se reprocha de le tenir en captivité à la campagne. Revenue au salon, elle appela don Cajetano, et, d’un ton confidentiel : — Vous m’avez fait entendre que l’enfant aimerait à voyager,… Lui dit-elle. Moi, j’ai mes habitudes, et la solitude me plaît par-dessus toute chose. Eh bien ! pour être agréable à Guillermo et aussi pour l’avancement de ses études, je me décide à l’emmener à Madrid… Nous irons dans ma galère, à petites journées, avec Melitona, Andrès et le petit chien… Qu’en pensez-vous, don Cajetano ?

Le religieux ne put s’empêcher de sourire, et il répondit : — Et puis après ?…

— Nous reviendrons ici reprendre notre douce vie et nos tranquilles occupations. Ne lui en dites rien au moins. S’il allait se rencontrer quelque obstacle…

Les obstacles ne tardèrent pas à surgir ; il faut si peu de chose pour arrêter les natures paresseuses ! La marquesa commençait à prendre de l’embonpoint, et le mouvement lui causait de la fatigue. Pendant plusieurs semaines, elle songea aux préparatifs sans avoir la force de s’y mettre, et peu à peu s’amortit en son cœur le désir manifesté dans un moment d’expansion et de courage. La Melitona, qui avait pris, elle aussi, son pli à la campagne, s’éleva avec chaleur contre l’inutilité d’un si long voyage ; elle parla même de brigands qui s’étaient montrés sur la route. S’il allait arriver malheur au marquesito ! De son côté, Andrès déclara que la galère avait besoin de beaucoup de réparations, et puis les mules se trouvaient malades. L’apparition des bandits n’était pas ce qui l’eût empêché de partir : mais il s’était fait une habitude de monter à cheval chaque matin et de jouer de la guitare chaque soir sur la margelle du puits. La mauvaise volonté de ces deux vieux serviteurs acheva de dégoûter