— Tu as donc cassé les cordes de ta guitare, répliqua Guillermo.
— Ah ! bien oui, les cordes de ma guitare, reprit Andrès ; je touche Là une autre corde, marquesito, une corde sensible qui devrait retentir dans votre cœur.
— Tais-toi, vieux fou, dit Guillermo en s’éloignant ; va plutôt voir si les chevaux n’ont pas besoin de boire.
— Les chevaux ont bu, caballerito ; ma besogne est faite, et je pense, comme vous, à la Leocadia,… Que niña tan bonita !…
— C’est vrai, répondit Guillermo ; elle est jolie…
— Et quand on a passé quelques instans auprès d’elle, on regarde la lune, on soupire, on se promène de long en large… C’est tout naturel, marquesito. Voulez-vous me permettre de vous parler franchement ? Je suis vieux, je vous aime bien, caballerito. Laissez-moi vous dire quelque chose… Tenez, ayez la bonté de vous asseoir là, sur le bord du puits.
Guillermo prit place près du vieux serviteur ; celui-ci roula une cigarette, battit le briquet, lança une bouffée de fumée, et dit : — Señorito, la jeunesse est une belle chose. Il y en a qui la mènent bride abattue et l’usent en peu de temps ; ils ont grand tort. Il y en a qui la laissent passer sans s’en apercevoir, et ils n’ont pas raison. Il faut être de son âge ; cela n’empêche point d’avoir de la sagesse. Vous êtes jeune, marquesito, et vous l’oubliez ; on dirait que vous avez l’âge de la marquesa. Cela me fait de la peine, parce qu’on pourra bien rire de vous ; le monde est méchant, il faut qu’il s’amuse de quelque chose.
— Et que m’importe ? interrompit don Guillermo. Je vis dans la solitude.
— Marquesito, la solitude finira par être pour vous une prison dont vous ne pourrez plus sortir sans rencontrer un visage moqueur. Eh bien ! croyez-moi, sortez-en hardiment avant qu’il soit trop tard… Si vous tardez, vous serez pris comme dans une souricière : vous n’oserez plus paraître dehors….. Et alors à qui en sera la faute ?
— S’il n’avait tenu qu’à moi, dit Guillermo avec un soupir, j’aurais……
— Ce qui est fait est fait, reprit Andrès ; quand on s’arrête aux récriminations, on n’avance à rien. Voyons, caballerito, voulez-vous enfin sortir de tutelle, quitter les jupons de la mama ?… Càspita ! si j’étais à votre place !…
— Que ferais-tu ? demanda tristement le jeune homme.
— Je sauterais hardiment par-dessus les barrières qui m’entourent, et, comme un cheval qui a rompu ses entraves, je m’élancerais d’un bond au milieu des jeunes gens. Il y a quelquefois au