— Et c’est là mon portrait au moral comme au physique ! s’écriai Guillermo avec colère ; voilà ce que je suis aux yeux de tous !… Oh ! non, non : ils me rendront fou par leurs sarcasmes, fou furieux peut-être ; mais idiot,… jamais !
Andrès, qui connaissait à Séville toute sorte de gens attachés au cirque, revint bientôt avec une excellente épée. Guillermo la reçut avec joie et la suspendit au-dessus de son chevet, afin d’aguerrir son esprit, — non à l’idée du combat, il ne le redoutait pas, — mais à la pensée d’affronter la foule. Il se mit à étudier les livres qui traitent de la tauromachie, et assista fréquemment, en compagnie d’Andrès, aux courses qui se célébraient dans les villes les plus voisines ; mais il y allait habillé en homme du peuple, et caché dans les derniers rangs du cirque.
— Eh bien ! lui dit un jour Andrès, il y aura bientôt une funcion de aficionados[1] à Cadix ; voulez-vous mettre votre nom sur le programme : Espada… don Guillermo, marquès del Carmejo ! Comme cela irait bien !
— On rirait, répliqua Guillermo, et puis je n’ose prendre ce titre, qui ne m’appartient pas.
— Qui donc le portera, si ce n’est vous ?
— Mon nom est William O’Bryant.
— Bah ! vous avez le nom que vous a donné la señora marquesa. Voyons, dites-moi oui, et je fais inscrire vos noms en grosses lettres sur le papier jaune.
Il y avait là encore une question de délicatesse, et Guillermo ne pouvait la résoudre sans consulter la marquesa. D’un autre côté, c’eût été lui demander en face : « M’avez-vous légalement adopté ? Suis-je votre fils devant la loi ? Quand me sera-t-il permis de vivre par moi-même et pour moi ? » Jamais Guillermo n’aurait eu le courage de sommer sa mère adoptive de répondre à d’aussi indiscrètes paroles. Derrière cet obstacle réel, il abritait sa propre timidité. La représentation donnée à Cadix par des amateurs se passa sans que Guillermo y eût pris d’autre part que celle d’un spectateur attentif. Andrès se désolait de voir son jeune maître retarder toujours ce début sur lequel il fondait de si grandes espérances.
— Marquesito, lui disait-il avec émotion, je suis bien vieux ; me laisserez-vous mourir sans que j’aie eu le bonheur d’entendre votre nom répété par dix mille voix au milieu des applaudissemens ?
- ↑ Représentation donnée par des amateurs.