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Chopin, quelquefois Sébastien Bach, Haendel et même le vieux Couperin, voilà les maîtres qu’on étudie, qu’on écoute et qu’on s’efforce au moins de comprendre. Si ce mouvement de restauration continue pendant quelques années encore, il est à craindre que la Société des Concerts, qui lui a donné le branle il y a trente et un ans, ne soit plus en état de le diriger ni même de le suivre. Cette société vénérable a le défaut de toutes les corporations qui vieillissent : elle manque d’initiative. Elle s’attarde indéfiniment sur les choses suffisamment connues, et semble redouter toute œuvre nouvelle. Ses programmes mal rédigés sont comme stéréotypés et présentent invariablement tous les ans la même série de morceaux. On exécute toujours le même psaume de Marcello, qui en a fait pourtant cinquante ; les mêmes fragmens du Samson de Haendel, qui a composé vingt-trois oratorios, les uns plus beaux que les autres ; les mêmes fragmens de l’Idoménée de Mozart, comme s’il n’existait pas d’autres ouvrages inconnus à Paris de ce génie divin, tels que les opéras l’Enlèvement au Sérail et Cosi fan tutte. L’œuvre colossale de Sébastien Bach, qui se publie à Leipzig avec un si grand luxe typographique, lui reste complètement inconnue, et c’est à peine si l’on chante une fois par an un double chœur, dont le programme n’indique jamais la provenance. Le piano est complètement abandonné par la Société des Concerts. Les belles compositions de Mozart, de Beethoven, de Mendelssohn et de Weber pour cet instrument n’y sont plus exécutées. Il y a à Paris un artiste éminent qui est sorti des classes du Conservatoire, M. Alkan aîné, dont le monde éclairé apprécie l’intelligence et le haut enseignement ; pourquoi la Société des Concerts ne lui demande-t-elle pas d’exécuter, à l’une de ses séances, soit une fugue ou une sonate de Bach, dont il comprend si bien le génie, soit de la musique de Haendel, qui ne lui est pas moins familière, et que le public connaît si peu ? La Société des Concerts n’aurait-elle pas dû inviter M. Rubinstein, un des plus grands virtuoses sur le piano qu’on ait entendus depuis que M. Liszt s’est fait franciscain, à venir exécuter devant un public d’élite une de ces grandes inspirations du génie dont il est un interprète si merveilleux ? La Société des Concerts ne devrait pas oublier qu’elle représente un peu l’art de la France, et que noblesse oblige. Dirigée par des esprits étroits et inhospitaliers, la Société des Concerts est loin de remplir le rôle élevé qui lui est assigné par l’opinion publique.

Au premier concert, qui a eu lieu le 10 janvier, après la Symphonie Héroïque de Beethoven, qui a ouvert la séance, on a chanté cette admirable scène de l’Idoménée de Mozart, où l’on retrouve les accens et la couleur antique du style de Gluck, particulièrement des opéras d’Orphée et d’Alceste. Après un solo de flûte admirablement exécuté par M. Dorus sur un canevas musical préparé par une main ingénieuse, Mme  Borghi-Mamo est venue chanter une vieille canzone italienne du commencement du xviiie siècle, qu’on attribue au fameux Stradella. Le programme, comme toujours, n’indique ni l’autorité sur laquelle on s’appuie pour qualifier cette mélodie, qui a bien la couleur du temps, ni les modifications importantes qu’y a ajoutées M. Halévy, c’est-à-dire un accompagnement d’orchestre avec un chœur final qui reproduit et prolonge la phrase principale. De pareilles tromperies ou négligences sont-elles dignes d’une société d’artistes sérieux dont le premier