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Tout en causant ainsi, M. Goefle, qui était un homme d’environ soixante ans, sec, actif et enjoué, mettait lui-même son cheval à l’écurie, tandis qu’Ulphilas remisait le traîneau, rangeait le harnais garni de clochettes, et que le petit Nils, assis sur les paquets, continuait à grelotter sous la galerie de bois qui entourait le préau.

Quand M. Goefle se fut assuré que son cher Loki, l’élégant et généreux petit cheval auquel il avait donné le nom du Prométhée de la mythologie Scandinave, ne manquerait de rien, il se dirigea d’un pas assuré vers la chambre de l’ourse.

— Attendez, attendez, monsieur l’avocat, lui dit Ulphilas, ce n’est pas ici. La chambre à deux lits, qu’on appelle la chambre de garde…

— Eh parbleu ! je la connais bien, répondit M. Goefle, j’y ai déjà couché.

— Peut-être, mais il y a longtemps. Elle est maintenant si délabrée…

— Eh bien ! si elle est délabrée, tu me feras un lit dans la chambre de l’ourse.

— Dans la chambre de…

Ulph n’osa point achever, tant lui sembla inouie l’idée de M. Goefle ; mais reprenant courage : — Non, monsieur l’avocat, non, dit-il, cela ne se peut pas, vous vous moquez ! Je vais chercher la clé de l’autre chambre, qui est peut-être moins mal tenue que je ne pensais (mon oncle y entre quelquefois), et puisqu’il y a une autre porte sur la galerie, vous n’aurez pas le désagrément de traverser la chambre… que vous savez.

— Comment ! depuis le temps que la porte de l’escalier est murée, cette pauvre chambre de l’ourse n’a pas encore perdu sa mauvaise réputation ? Allons, Ulph, mon garçon, tu es par trop bête pour ton âge, et je t’ordonne de m’ouvrir par ici, tout de suite. Il fait trop froid pour attendre que tu ailles chercher les autres clés, et puisque tu as…

— Je ne l’ai pas ! s’écria Ulphilas. Je vous jure, monsieur Goefle, que je n’ai pas plus la clé de l’ourse que celle de la garde.

En discutant ainsi, M. Goefle, accompagné d’Ulphilas, qui l’éclairait à contre-cœur, et de Nils, qui lui marchait sur les talons, était arrivé à la première porte du donjon, au rez-de-chaussée duquel était située la chambre de l’ourse. Cette porte ne fermant que par un verrou extérieur, l’avocat avait pénétré sans obstacle dans le court vestibule, monté les trois marches et poussé la porte de l’ourse, qui céda à sa main impatiente et s’ouvrit toute grande avec un cri si plaintif que Nils recula d’épouvante.

— Ouverte ! Elle était ouverte ! s’écria Ulphilas en pâlissant autant que sa face rouge et luisante était susceptible de pâlir.