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broussé chemin au plus vite, se consolant par la pensée qu’il reprendrait les bouteilles montées par Ulph dans un moment plus favorable.

Durant le quart d’heure qu’il avait perdu à explorer avec précaution le passage secret du salon de l’ourse (passage dont nous parlerons plus tard, et d’où il ne sortit pas sans peine, pour s’introduire furtivement dans le logement de M. Stenson), notre aventurier n’avait pu signaler l’arrivée de M. Goefle. Il pensa donc que les apprêts du souper étaient en vue du vieux régisseur. Puis, avant de reprendre possession du local qu’il s’était choisi, il avait voulu se mettre en quête du souper de son âne, et il avait erré dans la petite cour attenant à l’enceinte du préau, sans trouver rien à mettre sous la dent du pauvre Jean. Enfin il était revenu dans le préau quelques momens après le dernier accès de terreur d’Ulphilas, et il n’avait pas pu jouir de la réjouissante apparition de M. Goefle en bonnet de nuit, conduisant triomphalement l’âne à l’écurie, avec son kobold en habit rouge. Comme il explorait tout et ouvrait toutes les portes qui n’étaient pas trop cadenassées, Cristiano découvrit enfin celle de l’écurie, et se réjouit de voir maître Jean soupant de bon appétit et foulant une épaisse litière de mousse sèche, en compagnie d’un joli cheval noir qui paraissait l’accueillir de bonne grâce.

Vraiment, pensa Christiano en caressant le noble animal, les bêtes sont parfois plus raisonnables et plus hospitalières que les hommes. Depuis deux jours que nous voyageons dans ce pays froid, Jean a été un sujet d’étonnement, de peur ou de répugnance dans plusieurs maisons et villages de paysans, et moi-même, malgré les mœurs affables du pays, me voilà tombé dans je ne sais quel repaire d’esprits chagrins ou préoccupés, où je suis forcé d’aller à la maraude comme un soldat en campagne, tandis que ce bon cheval, sans demander à Jean la raison de ses longues oreilles, lui fait place au râtelier, et le considère d’emblée comme un de ses semblables. Allons, Jean, bonne nuit, mon camarade ! Si je te demandais qui t’a amené ici et servi à souhait, tu n’aurais peut-être pas la complaisance de me répondre, et si je ne te voyais attaché par la corde, je penserais que tu as eu l’esprit d’y venir de toi-même. Quoi qu’il en soit, je vais faire comme toi et souper sans aucun souci du lendemain.

Cristiano referma l’écurie et rentra dans la salle de l’ourse, où l’attendait l’agréable surprise d’un couvert servi en belle vaisselle et en lourde argenterie, sur une nappe bien blanche, sauf quelques taches de confitures laissées par Nils autour de son assiette.

— Tiens ! se dit gaiement l’aventurier, ils ont fini, ou bien ils ont commencé par le dessert ! Mais qui diable s’est installé là en mon absence ? Puffo n’eût pas été si délicat que de mettre un cou-