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punie par des jugemens contre lesquels il ne faudrait pas protester, si la simple rectification des faits pouvait jamais entraîner la complète réhabilitation des personnes. Tandis que, sous le prestige des hommes brillans et des femmes charmantes que Mazarin avait vaincus, la postérité surfaisait ce ministre en le plaçant à côté de Richelieu, elle reléguait Dubois au rang des intrigans subalternes, persistant à ne voir qu’un proxénète émérite dans l’habile négociateur de La Haye et de Londres, oubliant tout ce qu’il avait fallu de souplesse pour triompher sans guerre civile de la branche espagnole et des princes légitimés, tout ce qu’il avait fallu de prudence pour réduire le parlement après s’être incliné devant lui. Le public en est encore, malgré les documens nombreux qui de nos jours ont éclairé ces négociations si obscures, à voir dans le signataire de la triple alliance un ministre vénal trafiquant avec l’Angleterre de l’honneur et des intérêts de son pays. L’on trouve plus naturel d’imputer à des motifs honteux le traité de 1717 et les transactions qui le suivirent que d’expliquer le nouveau système fédératif auquel le régent et son ministre attachèrent leur nom par l’évidente nécessité de paralyser les manœuvres multipliées d’Alberoni, ce démon incarné de la guerre et de l’intrigue, et l’on donne les interprétations les moins plausibles à une conduite justifiée par l’urgence de guérir les blessures d’une nation que des guerres calamiteuses avaient atteinte à toutes les sources de la vie.

En expirant à quelques mois l’un de l’autre, après un gouvernement de huit années qui eut à combattre Philippe V et la maison du Maine, l’esprit parlementaire et l’esprit provincial, le duc d’Orléans et le cardinal Dubois laissèrent l’Europe en paix et la France paisible et forte ; ils fondèrent un système diplomatique assez solide pour qu’un roi de quatorze ans, appuyé sur le bras d’un octogénaire, pût le continuer durant vingt ans. Dans un pays épuisé d’or, de sang, de génie et presque de courage, où une longue paix pouvait seule effacer les traces d’une politique extrême dans ses moyens comme dans ses périls, un tel service vaut la peine d’être compte. Il faut savoir payer ce témoignage même aux hommes qui semblent avoir pris à tâche de s’excommunier eux-mêmes de toute considération et de tout respect ; il faut le leur rendre malgré Saint-Simon, déçu sous la régence de l’espoir de mettre le pied sur la tête de ses ennemis, et dont les âpres peintures ont été reproduites en taille-douce par Marmontel[1] et par Duclos[2]. Il faut persister enfin dans une réparation qui relève l’habileté sans toucher au caractère, malgré Lémontey, moraliste morose, plus empressé de signaler les vices des hommes que

  1. Régence du duc d’Orléans, ouvrage posthume de Marmontel, 2 vol. in-12, 1805.
  2. Mémoires secrets sur les régences de Louis XIV et de Louis XV, par M. Duclos, historiographe de France, etc., Paris 1791.