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diocrement. Aussi le nombre des sectaires ne peut-il être évalué que d’une façon approximative. On croit qu’il s’élève à six ou huit millions dans tout l’empire. On trouve les vieux croyans, qui forment la majorité des sectaires, au centre de la Russie, dans les provinces polonaises, sur les bords du Volga, au milieu des plaines qui confinent au Caucase, sur les bords de la Mer-Blanche et dans toute la Sibérie, depuis Irkoutsk jusqu’à Samara. La plus grande partie de cette population est composée de paysans et de marchands. Ces derniers résident presque tous dans les villes. Moscou et Pétersbourg en comptent un grand nombre. Les vieux croyans possèdent en outre trente-six couvens, et la plupart de ces asiles religieux sont entourés d’ermitages perdus dans les bois environnans.

Qu’est-ce donc que cette secte des vieux croyans qui, en dépit des persécutions, se maintient si puissante ? Lorsqu’on approfondit l’histoire de cette hérésie, on ne tarde pas à reconnaître que, dans leur ensemble, les doctrines des vieux croyans reposent sur une base essentiellement morale. Un ardent amour de la vérité religieuse, un dévouement absolu aux devoirs qu’elle impose, une profonde vénération pour les formes sous lesquelles on la symbolise, tels sont les sentimens qui dominent chez ces sectaires. Il faut y joindre une méfiance et un mépris assurément trop justifiés pour les membres de l’église orthodoxe. De toutes les accusations que l’on a portées contre eux, la plus injuste est sans contredit celle qui leur suppose un attachement aveugle pour la lettre des Écritures, un éloignement stupide pour la lumière que la discussion jette sur les matières religieuses. Le mouvement est au contraire leur essence. Tandis que les populations au milieu desquelles se trouvent les dissidens mènent une vie paisible au fond de leurs villages, sans se préoccuper en aucune façon des ténèbres religieuses dans lesquelles on les laisse croupir, les vieux croyans discutent entre eux et proclament courageusement leur foi, non-seulement dans les campagnes, mais au milieu des villes. Lorsqu’ils cherchent la solitude, ce n’est pas toujours la crainte des persécutions qui les y entraîne ; un autre sentiment les inspire. Ce qu’ils veulent, c’est la liberté de vivre suivant leurs doctrines, loin des hommes dont l’aveugle attachement aux enseignemens du clergé orthodoxe, généralement concussionnaire et débauché, leur inspire une profonde aversion. Quant à la mort, ils ne la redoutent pas ; ils s’exposent volontairement aux persécutions, aux supplices, et souvent, pour être plus sûrs de mériter la palme du martyre, ils se torturent de leurs propres mains. L’histoire de cette secte nous offre sans doute quelques aberrations coupables ; mais ce qu’il faut y voir surtout, c’est une vivante protestation contre l’indifférence religieuse et l’intervention d’un pouvoir des-