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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 15.djvu/734

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offre bien quelques traits de parenté avec celle des Juifs. Les uns et les autres sont dispersés sur toute la terre et vivent au milieu des populations chrétiennes, auxquelles on les voit se mêler sans se confondre ; les uns et les autres ont porté durant des siècles le poids de la persécution, du mépris, de la malveillance publique. Là pourtant s’arrête la ressemblance. Un Juif reconnaît un Juif, même quand l’un et l’autre appartiennent à deux rameaux distincts de la tige d’Israël, séparés depuis dix-sept cents ans et plus : un gypsy reconnaît un gypsy, même quand l’un a été pâli par les neiges de la Suède, et l’autre bruni, s’il est possible, au feu des tropiques ; mais un gypsy ne reconnaîtra jamais son frère dans un Juif, un Juif ne se croira jamais de la race des gypsies. Leur vie, leur caractère, leurs mœurs abondent d’ailleurs en contrastes. Les Juifs recherchent les villes, les centres de population, où ils peuvent se livrer au commerce : les gypsies au contraire se dispersent dans les campagnes, les terres vagues, les bruyères ; ils ne vivent qu’en passant dans les villes, et seulement quand la nécessité les y oblige. D’un autre côté, les enfans d’Israël se rattachent chaque jour de plus près aux sociétés chrétiennes ; les Juifs anglais s’honorent d’être nés sous le drapeau de l’Angleterre : les gypsies, eux ne sont d’aucun pays ; on les trouve partout, et partout ils sont étrangers. Le développement intellectuel crée d’ailleurs entre les deux races une différence radicale : les Juifs ont conservé dans leur exil les lumières d’une civilisation puissante, tandis que les Romany, disséminés çà et là en familles patriarcales, allant sans cesse d’un endroit à un autre endroit, avec leurs tentes et leurs maigres troupeaux, semblent être les débris d’une caste errante qui n’a jamais secoué les ténèbres de l’ignorance.

Les gypsies ne sont ni égyptiens, ni juifs : que sont-ils donc ? La langue est l’histoire des races qui n’ont plus d’autre monument historique. Or les gypsies ont un langage à eux, un même langage qu’ils parlent avec de légères nuances dans les diverses contrées de la terre où ils se trouvent, et ils se trouvent partout. Dans les rues de Moscou et de Madrid, de Londres et de Constantinople, dans les plaines de la Hongrie et dans les brûlantes solitudes du Brésil, le vent disperse les sons étranges de cet idiome qui présente partout dans ses traits principaux un caractère d’unité. Ce langage a été analysé par les philologues, qui y ont retrouvé les racines plus ou moins corrompues du sanscrit. Le sanscrit lui-même a cessé depuis longtemps dans l’Inde d’être une langue parlée[1] : c’est la langue

  1. Les Anglais ont fait depuis un demi-siècle de grands efforts pour ressusciter cette langue morte sur le théâtre de leurs conquêtes. Ils ont établi dans l’Hindoustan des collèges où le sanscrit, jusque-là confiné dans les écoles des initiés ou des brahmines, est aujourd’hui enseigné publiquement.