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relevé cette garnison. Or, comme il était d’une haute importance pour lui de conserver ses communications avec la Germanie, comme il les conserva en effet et par le territoire même des Trévires, on pourrait supposer que cette tête de pont resta occupée ; mais les moyens de passage indispensables pour faire franchir le Rhin à une armée n’étaient pas au même degré nécessaires quand il s’agissait seulement d’appeler quelques contingens de cavalerie légère. Les nombreuses incursions des Germains le prouvaient assez. Dans les circonstances présentes, la conservation du pont aurait été loin de compenser l’absence de 4 000 légionnaires qui auraient manqué à l’armée active. Il est donc probable que César, ou avait fait abandonner la tête de pont, ou n’y avait laissé qu’une garnison d’auxiliaires, avec quelques Romains pour la commander.

La Province était occupée par vingt-deux cohortes. César a soin de nous informer que cette troupe avait été recrutée parmi les habitans de cette région[1]. Faut-il croire que les officiers eussent la même origine ? N’avaient-ils pas plutôt été choisis parmi les légionnaires ? Dans ce dernier cas, le proconsul pouvait avoir formé ce détachement au moyen d’un remaniement qu’il est assez habituel de faire subir aux armées qui sont depuis longtemps en campagne. Réduisant le nombre des cohortes légionnaires, portant au complet celles qu’il conservait et retenant sous les aigles tous les soldats valides, il pouvait avoir renvoyé dans la Province des hommes fatigués et un certain nombre de cadres pour y constituer une sorte de dépôt et recruter dans le pays. Il est vrai que cette mesure modifiait l’ordre de bataille ; mais on pouvait manœuvrer avec huit cohortes au lieu de dix, tout comme les mouvemens de notre ordonnance peuvent être exécutés par des bataillons de six pelotons au lieu de huit. Cependant nous ne pensons pas que César ait procédé de cette manière, et voici pourquoi :

Il poursuivait un double but dans la guerre des Gaules : il voulait acquérir une gloire éclatante et mettre au service de son ambition un docile et redoutable instrument. Son puissant esprit s’appliquait sans relâche à rendre son armée tout à la fois meilleure à la guerre et plus dévouée à sa personne. Or l’ombrageuse aristocratie de Rome avait multiplié les précautions pour empêcher les généraux de s’approprier leurs armées. Depuis la réforme de Marius, depuis que les guerres étaient plus longues et plus lointaines, quelques-unes de ces dispositions étaient devenues de véritables vices d’organisation et un obstacle au succès. Ainsi la légion n’avait pas de chef unique ; elle était commandée en droit par six tribuns mili-

  1. B. G., vii, 65.