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l’aspect de Mlle Potin. Ceci était la première partie de l’épisode romanesque arrangé dans la tête de Cristiano. Il était au bal, il n’avait pas rencontré d’obstacle à son admission, il s’était préservé du regard et des questions du maître de la maison, et il trouvait enfin Marguerite sous la tutelle bénévole de sa confidente. Ce n’était pas tout. Il s’agissait d’aborder la jeune comtesse ou d’attirer son attention, et de nouer sur nouveaux frais connaissance avec elle.

La seconde partie du roman débuta d’une façon très inquiétante. Au moment où Cristiano guettait le regard de Marguerite, regard sur lequel il comptait pour trouver l’inspiration, il sentit un pas inégal qui tâchait d’emboîter le sien, et une voix claire et criarde, partant de derrière lui, l’arrêta net par ces paroles : — Monsieur ! monsieur l’étranger ! où courez-vous ainsi ?

L’aventurier se retourna et se vit nez à nez avec le vieillard louche et contrefait qu’il avait cru si bien éviter. Je dis nez à nez, car le boiteux, s’étant lancé à sa poursuite, ne put changer son allure aussi vite que lui, et faillit tomber dans ses bras. Cristiano pouvait fuir, mais c’eût été tout compromettre ; il paya d’audace et répondit : — Je vous demande mille pardons, monsieur le baron, c’est précisément vous que je cherchais.

— Ah oui ! dit le boiteux en lui tendant la main avec une soudaine cordialité ; je m’en doutais bien. J’avais remarqué votre figure parmi toutes les autres, je m’étais dit : Voilà un homme instruit, quelque voyageur savant, un homme sérieux, une intelligence enfin, et certainement je suis le pôle que cherche l’aimant. Eh bien ! me voilà, c’est moi. Je suis tout à vous et avec plaisir. J’aime la jeunesse studieuse, et vous pouvez me faire toutes les questions dont vous souhaitez la solution.

Il y avait tant de candeur et de bonhomie dans la figure riante et le langage vaniteux du vieillard, que Cristiano accusa intérieurement Marguerite d’injustice à son égard. À coup sûr, c’était là un fiancé burlesque et impossible ; mais c’était le meilleur homme du monde, incapable de donner une chiquenaude à un enfant, et si un de ses yeux errait, vague et comme ébloui, sur les parois de la salle, l’autre regardait son interlocuteur d’une façon si franche et si paternelle, que toute accusation de férocité devenait une rêverie.

— Je suis confus de vos bontés, monsieur le baron, répondit Cristiano, rassuré jusqu’à l’ironie. Je savais bien que vous étiez versé dans les sciences, et c’est pour cela qu’ayant moi-même quelques faibles notions…

— Vous vouliez me demander des conseils, une direction peut-être… Ah ! mon cher enfant, en toutes choses, la méthode… Mais je