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tout son cœur en dehors ; son âme généreuse et romanesque était dans ses yeux brillans, dans son sourire radieux, dans son attitude d’oiseau impatient de repartir vers les nues, dans ses beaux cheveux blonds qui semblaient se rouler en serpens animés sur ses blanches épaules, dans le son ému de sa, voix, enfin dans tout son charmant petit être. Cristiano en eut un éblouissement, et, ne sachant plus ce qu’il disait, il jeta, comme au hasard du rêve, cette bizarre question à Marguerite : — Pourtant vous n’aimerez jamais qu’un homme de votre rang, et si, en dépit de vous-même, votre cœur parlait pour un pauvre diable, pour un homme sans nom et sans avoir,… pour Christian Waldo, je suppose,… vous auriez une grande honte et vous vous croiriez tout à fait brouillée avec votre conscience ?

— Christian Waldo ! dit Marguerite ; pourquoi Christian Waldo ? Vous faites choix d’un exemple bizarre !

— Extrêmement bizarre, et je le fais à dessein. Lorsqu’on procède par antithèse… Voyons, voici celle que je vous soumets : je suppose que ce Christian Waldo, que je ne connais pas du tout, ait la bravoure, l’esprit, le cœur généreux qu’on lui attribuait ici tout à l’heure, avec la misère, qui doit être la compagne fidèle de ses aventures, et un nom qu’il n’a pris, je suppose, en vertu d’aucun parchemin…

— Et avec sa tête de mort ?

— Non, sans sa tête de mort. Eh bien ! je suppose que, pour vous marier, vous soyez forcée de choisir entre ce personnage et le baron de Waldemora ?

— Je prendrais un parti bien simple, qui serait de ne pas me marier du tout.

— À moins que l’on ne découvrît sous le masque de ce Christian un jeune et beau prince, forcé par la raison d’état de se cacher ?

— Vous m’en direz tant ! répondit Marguerite ; un nouveau tsarévitch Yvan échappé de sa prison, ou un autre Pierre III échappé à ses assassins !

— Auquel cas, apocryphe ou non, il obtiendrait grâce devant vos yeux ?

— Que voulez-vous que je vous réponde ? Un bouffon italien n’est vraiment pas un point de comparaison possible quand il s’agit de parler sérieusement.

— C’est trop juste ! répliqua Cristiano ; mais voici le finale, qu’il nous soit léger, car c’est la pelletée de terre sur le roman intitulé la Première Contredanse.

Mais cette contredanse ne devait pas finir selon les lois de la chorégraphie. M. Stangstadius, ayant enfin terminé le copieux repas qu’il appelait un à-compte entre le souper et le réveillon, venait de sortir de la salle du buffet. Préoccupé de quelque haute pensée mise