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Alberoni ne fût rentré dans la poussière, comme il était arrivé à la princesse des Ursins pour des motifs mille fois moins sérieux. Nul doute encore que si, par impossible, Philippe V s’était obstiné dans des desseins où l’injustice le disputait à l’extravagance, Louis XIV n’eût fini par sacrifier les intérêts de son sang à ceux de la France.

Loin de faire un crime au régent d’avoir répudié une politique dont l’aveuglement du roi d’Espagne eût rendu la continuation désastreuse, Louis XIV, on peut le croire, aurait approuvé l’attitude de ce prince, et trouvé naturel que pour conserver la paix aux peuples épuisés, en se ménageant à lui-même des éventualités consacrées par de si solennelles stipulations, il s’engageât plus étroitement dans l’alliance anglaise, dont ce monarque avait lui-même jeté les fondemens par les actes d’Utrecht. Dans les rêves maternels d’Elisabeth, dans les combinaisons plus astucieuses d’Alberoni, rien n’intéressait la France et ne valait le risque que lui aurait fait alors courir une guerre contre l’Angleterre et contre l’empire réunis. Puisqu’elle ne pouvait elle-même prendre pied au-delà des Alpes, ne valait-il pas autant, et mieux peut-être, que ces magnifiques contrées tombassent sous la domination toujours abhorrée et toujours précaire des tedeschi que de repasser sous le sceptre de l’Espagne, dont les dernières ressources se fussent épuisées pour les conserver ? Affronter, pour donner Naples et la Sicile à Philippe V, une coalition européenne, et, au moment où les victoires du prince Eugène à Belgrade et à Peterwaradin rendaient à l’Autriche la disponibilité de ses forces, recommencer, avec trois milliards de dette et les longs embarras d’une minorité, une lutte que Louis XIV s’était estimé si heureux de finir au prix des plus durs sacrifices, c’eût été là le comble de la démence, et tel était pourtant le seul prix auquel le régent pouvait maintenir l’alliance avec l’Espagne, dont l’abandon lui a été si souvent reproché. Pour se faire pardonner ce que Philippe V envisageait comme une usurpation, pour obtenir surtout de la part de ce monarque le désistement de ses prétentions éventuelles, il aurait fallu que le duc d’Orléans mît les ressources de la France à la disposition d’Alberoni, qu’il jetât une armée au-delà des Alpes, une autre au-delà du Rhin, et qu’il équipât une flotte afin de préparer la restauration de Jacques III en Angleterre. Telle était cette prétendue politique de Louis XIV, qu’on fait un crime au régent d’avoir sacrifiée à de mesquines préoccupations et à des intérêts personnels[1].

Au fond, l’Espagne elle-même n’était guère moins désintéressée

  1. Voyez Philippe d’Orléans, régent de France, par M. Capefigue, tome Ier, chap. XI et XIV.