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maisons de péage incendiées, d’Européens réduits à fuir et impitoyablement égorgés sur les routes. Presque chaque jour on envoyait en reconnaissance de petits détachemens qui ramenaient parfois quelques-uns de ces feringhies proscrits, ceux-ci mutilés, ceux-là presque fous de douleur ou de souffrances. Sir Henry Lawrence pourtant s’inquiétait surtout des villes placées entre lui et Calcutta. Le télégraphe, qu’il faisait jouer sans relâche, demandait des nouvelles d’Allahabad, de Bénarès, de Cawnpore… Le 20 mai, après trois semaines employées à s’approvisionner, à creuser des fossés, à dresser des palissades autour de la résidence, où s’étaient déjà réfugiées, avec leurs enfans, beaucoup des ladies ou des femmes européennes séjournant à Lucknow, il écrivait au gouverneur-général : « Tout va bien ici et dans le district ; notre position est maintenant très forte. S’il faut en venir à se défendre, ne craignez rien pour nous. » Trois jours après, il annonçait que, grâce à ses approvisionnemens, il avait dix jours de vivres assurés pour cinq cents hommes. — trente canons et cent Européens dans la Muchie-Bhaoun[1], — trois cents Européens et une batterie anglaise dans les cantonnemens. Il se regardait donc comme à peu près en sûreté ; mais Cawnpore le préoccupait toujours. En attendant, il achetait des quantités de blé, approvisionnait ses deux postes fortifiés de tout ce qui pouvait servir à la défense, et des milliers de coolies, enrôlés et payés par lui, continuaient les travaux de terrassement, l’installation des batteries, etc. Plus le temps marchait en effet, et plus l’attitude des troupes indigènes devenait équivoque. Chaque jour arrivaient du dehors des messagers inconnus qui leur apportaient les nouvelles de l’insurrection triomphante, les décrets de l’empereur de Delhi, les proclamations des taloukdars qui se déclaraient, et, sous ces coups d’aiguillon réitérés sans relâche, on voyait frémir le coursier mal dompté. Chaque matin, on annonçait une émeute des cantonnemens ; chaque soir, elle devenait plus probable.

Deux de ces détachemens de cipayes qu’on envoyait battre la campagne, lancés, le 23 mai, du côté de Cawnpore, se séparèrent, une fois là, pour aller dans deux directions opposées. Celui qui prit le chemin d’Agra était commandé par un des orientalistes les plus distingués de l’armée, gradué de Cambridge, et qui avait rempli auprès de l’ex-roi d’Oude les fonctions importantes d’aide-résident. Cet officier, M. Fletcher-Hayes, cheminait derrière le dernier peloton de sa petite troupe de cavaliers. En avant était le lieutenant Barber ; à côté de M. Hayes, un des engagés volontaires que la population euro-

  1. Il avait acheté lui-même cette forteresse, pour le compte du gouvernement et moyennant 50,000 roupies (125,000 fr. environ), au nabab Yah-Ally-Khan.