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ingénieurs multipliaient les fossés, les levées de terre, les estacades, destinés à former autour de la résidence un cercle complet de fortifications. On continuait les approvisionnemens. On entassait les vivres dans les deux centres de résistance qui avaient d’avance été choisis : la résidence et la Muchie-Bhaoun. Parallèlement à ces mesures de prudence, les mesures de rigueur, devenues indispensables, avaient leur cours. Les commissions militaires fonctionnaient. Chaque matin, chaque soir, on assistait à des exécutions sanctionnées, non sans regret, par le commissaire en chef. Elles avaient lieu en face de la porte de la Muchie-Bhaoun, dont la garnison se tenait aux meurtrières, prête à tirer sur la foule, que contenaient d’ailleurs les soldats de police rangés en ligne sur trois ou quatre hommes de profondeur.

« … Un jour, dit le capitaine Anderson, j’en vis exécuter neuf, tous cipayes révoltés, leur aspect le disait de reste. La plupart étaient de beaux hommes. Ils marchaient vers la potence d’un pas ferme et délibéré. Cependant ce beau calme se démentit. Quand le nœud fatal fut ajusté autour de leur cou, quelques-uns sollicitèrent humblement leur grâce. D’autres firent appel à la multitude, demandant s’il ne se trouvait pas là quelques bons musulmans ou Hindous qui les voulussent arracher aux maudits feringhies (chrétiens). Un malheureux Hindou, sur le point de périr, s’écriait : « Hélas ! Hélas ! c’est vous autres, musulmans, qui êtes la cause de tout… » Un autre pauvre diable disait : « Sauvez-moi ! sauvez-moi ! J’ai une femme et des enfans tout petits. Faut-il donc qu’ils meurent de faim ?… » Mais l’arrêt était rendu ; il n’y avait pas de grâce à espérer. À un signal donné, cinq hommes furent lancés dans l’éternité, et ce fut un triste spectacle que le frémissement soudain des quatre autres condamnés placés sous les potences en face, quand ils virent le plancher manquer sous les pieds de leurs camarades, brandillant en l’air devant eux. Un instant après, les pieds leur manquaient, à eux aussi… »

M. Rees porte à trente-six le nombre des exécutions ainsi ordonnées. Les condamnations furent bien plus nombreuses, à n’en juger que par un seul exemple. Sur vingt-deux émissaires des insurgés arrêtés à la fois dans un des faubourgs de Lucknow, quatre seulement furent punis de mort. C’étaient des banniahs (boutiquiers) de Bénarès, venus tout exprès pour propager la rébellion. S’ils n’y réussirent pas, ce n’était pas faute de trouver des sympathies parmi le peuple. Le bouleversement politique de l’année précédente avait, on le sait, rempli la capitale de gens désormais sans ressources. Plusieurs classes de négocians voyaient leurs affaires notablement diminuées par la dispersion d’une cour opulente et fastueuse ; les pauvres souffraient aussi, non peut-être d’un surcroît de taxes, mais de ce que les taxes étaient plus exactement prélevées.

« Nous désirions tellement obtenir une balance favorable entre les recettes