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à cette résidence, qui porte le nom de Ngornu, que M. Barth eut la première occasion de voir le lac. Dans une excursion qui dura de trois à quatre jours, il en suivit les bords, qui ne sont qu’une longue série de marécages peuplés d’éléphans et d’hippopotames ; la grande eau, qui n’a guère plus d’une ou deux brasses de profondeur, ne se trouve qu’à quelque distance de terre. À l’intérieur du lac existe tout un archipel d’îles basses et sablonneuses qui, dans la saison sèche, se rejoignent, se couvrent de hautes herbes et forment d’immenses pâturages. Elles sont habitées par une race d’hommes particuliers qui non-seulement ont conservé dans cette retraite une sorte d’indépendance, mais encore exercent des pirateries sur tous les rivages, excepté sur celui de la province de Kanem, avec les habitans de laquelle ils entretiennent des relations de commerce et d’amitié. On appelle ces hommes Jedinas ou Buddumas. Barth en vit plusieurs : ils sont de grande taille, beaux, bien faits, de visage intelligent ; ils se couvrent simplement d’un tablier de cuir, et ils portent au cou un collier de perles blanches qui, joint à l’éclat d’ivoire de leurs dents, fait un agréable contraste avec leur peau noire comme du jais. Pour naviguer sur le lac, ils se servent de barques formées de petites planches reliées entre elles par des cordes, et dont les interstices sont bouchés avec de la mousse ; elles peuvent contenir une douzaine d’hommes. Le lac est élevé de huit cent trente pieds au-dessus de la mer ; l’époque de son plus large débordement est fin octobre et novembre. Ses eaux sont douces et nourrissent plusieurs variétés de crocodiles ; il est très poissonneux, ainsi que les Komadugus et cours d’eau qui s’y déversent. Enfin sur ses bords MM. Overweg et Barth purent s’offrir le luxe de la soupe à la tortue.

L’occasion d’une autre excursion bien plus considérable et plus importante ne tarda pas à être offerte à M. Barth : des envoyés du gouverneur fellani de l’Adamawa étaient venus présenter au cheik des réclamations relatives à un territoire en litige ; ils repartaient pour Yola, capitale de leur pays, en compagnie d’un officier d’Omar chargé à son tour d’exposer au gouverneur les prétentions de son maître. La longue guerre entre les Fellani et les Bornouans était enfin apaisée : les premiers semblaient avoir renoncé à la conquête d’un pays énergiquement défendu, mais la bonne intelligence n’était pas pour cela pleinement rétablie, et Barth ne l’éprouva que trop. La région méridionale du Bornu, laquelle confine à l’Adamawa, est aride et triste. Des hommes d’une race particulière habitent la frontière ; on les appelle Shuwas : ce sont des Arabes qui, s’avançant graduellement de l’est par le Darfur, le Waday et le Bagirmi, ont pénétré jusque-là et s’y sont établis depuis plusieurs siècles sans se mêler aux peuplades qui les entourent. Les mœurs et le langage de leurs ancêtres se sont conservés plus purs au milieu d’eux que chez les Arabes nomades de l’Afrique. Ils sont puissans, car ils peuvent mettre sur pied jusqu’à vingt mille hommes de cavalerie légère, et, bien que nominalement sujets du Bornu, ils vivent en fort bonne intelligence avec les Fellani. Près d’eux, dans la région marécageuse qui précède les premières hauteurs de l’Adamawa, se trouvent quelques tribus païennes misérables, végétant dans des huttes dont l’ouverture n’a pas plus d’un pied de haut, et dans lesquelles on s’introduit en rampant. Ces pauvres gens sont