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Barth y suivit les sinuosités du Niger, il franchit ensuite la contrée de Dindina, où s’est depuis fort longtemps fixée une tribu égarée de la famille des Tawareks ; puis il arriva à la grande ville de Say, située sur les confins du territoire de Sabernea, entre de vastes et riches cultures de riz et des forêts sans fin. Say, qui est une des villes importantes de cette région, est bâtie dans une île du Niger. Sa situation est agréable et pittoresque ; d’ailleurs, avec son mélange de huttes et de maisons à terrasses, elle reproduit la physionomie générale de toutes ces villes africaines d’architecture primitive.

Devant le voyageur, dans ce long et monotone itinéraire, les grandes villes se succédaient : après Sokoto étaient venues Say, puis Sebba, Korià, Dore et bien d’autres ; des noms de peuplades, inconnus pour la plupart, frappaient son oreille et prenaient place sur ses cartes et dans son journal. À côté de cultures riches et prospères se montraient fréquemment des traces de dévastation laissées par la guerre. Sous ses yeux, le Niger roulait dans un lit immense ses flots tantôt solitaires tantôt sillonnés par des barques grossières ; partout, dans la vallée de ce grand fleuve que pour la première fois un européen visitait vers la partie moyenne de son cours, il y avait un mélange étonnant des magnificences de la nature et des œuvres à demi ébauchées d’une société humaine encore dans la période de son enfance. Jusqu’alors Barth n’avait jamais nié sa qualité d’européen et de chrétien ; mais pour ne pas être arrêté dans son voyage au moment de toucher au but qu’il s’était proposé, il dut se faire passer pour Arabe et chérif. Enfin, après avoir traversé une région montagneuse qui porte le nom de Hombori, puis des contrées toutes couvertes de marécages et de lacs permanens ou temporaires, le voyageur rejoignit le Niger. Dans la journée du 1er septembre 1853, il s’embarqua sur un des bras du fleuve, large de deux cent quatre-vingts mètres, le remonta, parvint à un lieu appelé Saraïjano, où le fleuve reprend son étendue moyenne et sa majesté, après avoir été divisé en une multitude de canaux étroits et sinueux tout encombrés de roseaux. Enfin, gagnant l’autre bord, il entra dans une crique située sur la rive septentrionale. C’est là que se trouve Kabara, port de Timbuktu.

Il était temps que M. Barth touchât au terme de son voyage ; les fatigues d’un itinéraire de plus de dix mois, des dangers de toute nature, les brusques variations de la température, qui, de midi à trois heures, dépassait souvent 42 degrés centigrades, toutes ces épreuves de chaque jour, auxquelles tant d’autres n’eussent pas résisté, menaçaient d’altérer sa constitution robuste ; il était dans un état d’épuisement comparable à celui dans lequel il se trouvait à sa sortie d’Adamawa, et il ne fallait rien moins qu’un long repos pour le remettre. Il envoya au cheik la lettre de recommandation qu’il tenait de l’émir Al-Moumenim. Cette démarche eut une issue favorable, et il ne tarda pas à apprendre que l’autorisation de séjourner à Timbuktu lui était accordée.

Cette reine du désert, cette cité africaine si longtemps fameuse en Europe à l’exclusion de toute autre, doit son grand renom aux voyages et aux récits d’Ebn-Batuta, de Léon l’Africain et de notre compatriote Caillié plutôt qu’à sa véritable importance, car, sous le rapport de l’étendue et de la prospérité commerciale, elle est inférieure à Sokoto, à Kano et à plusieurs autres villes