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bien des esprits en France se sont effrayés, après 1848, de cette enquête continue, de cette délibération permanente, qui se poursuivaient par la presse et par la tribune, et ont cru devoir réclamer, dans l’intérêt de la sécurité sociale, quelques années de silence pour notre pays. Nous ne serions point surpris, pour notre compte, qu’un sentiment contraire ne s’éveillât bientôt chez ces vieux amateurs du silence ; nous ne serions point étonnés qu’à son tour le silence, dont ils ont pu se repaître à leur aise, ne leur devînt un objet de trouble et d’alarme, et qu’ils n’en vinssent eux-mêmes à demander aux discussions régulières et assidues une garantie plus saine et plus efficace de l’ordre moral et de la conservation sociale.

Ce besoin instinctif de savoir, pour parler trivialement, où l’on en est et où l’on va, se révèle depuis quelque temps, par de nombreux symptômes, à peu près partout en Europe. Tout assurément est calme à la surface, et pourtant je ne sais quelle curiosité non satisfaite travaille au fond les esprits. C’est cette curiosité inassouvie qui est la vraie cause des fausses rumeurs, des bruits absurdes qui trouvent une circulation si rapide et si choquante en France et à l’étranger. C’est ce souci du mystère qui imprime à l’opinion une crédulité si prompte à l’alarme. On dirait que l’opinion s’est mise à plaider le faux pour savoir le vrai : mauvaise disposition qui ne saurait échapper aux observateurs de l’histoire contemporaine, que nous n’indiquons nous-mêmes qu’avec une extrême réserve, et que l’on ne redressera, suivant nous, qu’en donnant une plus large satisfaction à ces aspirations libérales, à ces grands et généreux besoins d’information universelle et de délibération publique qui sont inhérens au génie de notre époque.

Ce ne sont point assurément les conférences de Paris qui nous suggèrent ces réflexions. Si le mystère conserve encore quelque part un légitime empire, c’est sans contredit au sein d’un congrès ; s’il est un sphinx qu’il serait impertinent de vouloir faire parler avant son heure, c’est la diplomatie. Aussi n’avons-nous point la prétention de connaître les travaux de la conférence. C’est des journaux autrichiens que le public a appris le peu qu’il en sait. Or, à en juger par le langage de la presse allemande, notamment par un article assez gaillard du Journal de Francfort qui trahit son origine, l’Autriche serait en train de faire en ce moment une hardie campagne contre la France. On ne comprend pas, prétend le publiciste viennois, ce que veut la France : elle défend, selon lui, la cause de la Russie, qui, occupée de ses réformes intérieures, efface au lieu d’accuser ses convoitises à l’égard de l’empire ottoman. L’Angleterre, aux mains d’un ministère qui ne dispose pas d’une majorité parlementaire, n’intervient dans le débat qu’avec mollesse. La Prusse aurait de bonnes intentions, mais le caractère provisoire de son gouvernement actuel l’empêche d’agir. Il ne reste à la Turquie qu’un vigoureux défenseur, c’est l’Autriche, laquelle se dit prête à affronter la France et à lui porter les coups les plus directs. Il est vrai que le cabinet de Vienne, en même temps qu’il prend ces vaillantes attitudes, se hâte de nous rassurer. Ce n’est point d’un duel qu’il s’agit, c’est simplement, il le déclare, d’une lutte de plaidoiries. De même que deux confrères de la robe échangent de gros mots sous le couvert de la querelle de leurs cliens, sans rien perdre de leur estime mutuelle et en conservant, malgré le procès,