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son intérêt semble en souffrir pour le moment, sous un autre rapport la direction imprimée à cette affaire lui est, en dernière analyse, avantageuse. La reconnaissance de la suzeraineté de la Porte imposée au Monténégro avec l’appui du cabinet de Vienne aurait pu produire dans les provinces chrétiennes de la Turquie d’Europe une agitation extrême, qui eût été pour lui un embarras. Il eût, dans tous les cas, partagé l’impopularité de cette pression. Il était dans le vrai en 1853, lorsqu’il envoyait le comte de Linange à Constantinople pour éclairer la Turquie sur les dangers d’un envahissement du Monténégro, et qu’il obtenait d’elle un arrangement basé sur le maintien du statu quo. La France, qui a dû prendre le rôle auquel l’Autriche renonçait de propos délibéré, n’a fait que procéder d’après le principe qui avait inspiré la mission du comte de Linange, en demandant une délimitation sur la base du statu quo de 1856, et sauf les conséquences générales de cette interversion des rôles que le cabinet de Vienne ne peut reprocher qu’à lui seul, le résultat sera le même : l’ordre sera rétabli sur le point où il importe à un si haut degré à l’Autriche qu’il ne soit pas troublé.

Quel a été dans cette circonstance l’objet spécial du gouvernement français ? Nous croyons qu’il n’est nullement nécessaire d’être initié au secret des chancelleries diplomatiques pour se rendre compte de la conduite qu’il a adoptée. Il a suivi la voie qu’indiquait le simple bon sens ; il a voulu arrêter la Turquie sur la pente dangereuse d’une entreprise qui pouvait être extrêmement humiliante, si elle ne réussissait pas, et qui, en cas de succès, devenait nécessairement odieuse. Il a voulu rester fidèle à la seule politique possible pour lui dans les affaires d’Orient, et qui consiste à défendre la Turquie non-seulement contre ses ennemis du dehors, mais contre ses propres erreurs, et notamment contre celles de toutes qui pourraient lui être le plus funestes, les erreurs de conduite dans ses rapports avec les populations chrétiennes. Certainement, s’il est une puissance qui ait ce droit, c’est la France. Elle l’a chèrement acquis, et il faut convenir qu’elle l’a exercé avec modération. Devant l’opposition irritante que ses conseils ont rencontrée à Constantinople dans la plupart des questions relatives à l’exécution de la paix, elle aurait pu légitimement ne pas conserver toujours le calme qu’elle a montré, et si, dans la nouvelle crise suscitée par l’expédition contre Grahovo, elle a pris une attitude plus sévère, l’urgence de la situation justifiait le langage pressant qu’elle a tenu et la démonstration maritime dont elle l’a appuyé.

Une méprise d’un autre genre vient d’être commise par le Times et à sa suite par quelques membres du parlement anglais à l’endroit de la France. Nous ne sommes point de ceux qui aiment à trouver le Times en défaut. Ce journal est une si puissante expression de la presse libre, il rend de tels services par l’abondance et la qualité de ses informations, il prête à la raison publique un si vigoureux concours, que nous saluerions plutôt dans ce colosse de la presse une véritable institution, dont l’influence dépasse les limites de l’empire britannique et profite à la liberté du monde. C’est dire assez le regret que nous avons éprouvé en voyant le Times, victime d’une lourde erreur, dénoncer les prétendus arméniens de la France. Le Times, il faut bien le dire, depuis cette déroute de l’opposition qui a suivi la motion