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glais des hommes considérables par l’étendue de l’intelligence et par les facultés oratoires, qui placent leur ambition plus haut que la possession du pouvoir, c’est-à-dire dans le succès de leurs idées de progrès et de réforme ; il y a aussi dans le parti libéral des hommes également distingués, mais qui, habitués aux fonctions ministérielles, sont enclins à subordonner aux nécessités pratiques du pouvoir l’accomplissement des réformes et la marche du progrès. Tels sont, au premier rang, lord Palmerston, lord John Russell, avec le cortège de parens et d’amis qui depuis trente ans les accompagnent au ministère, et à leur suite la clientèle routinière qui obéit à leur direction. Il y a pourtant une distinction à faire entre ces deux hommes, remarquables à divers titres. Lord John Russell porte dans les questions intérieures une hardiesse et une persévérance qui le rapprochent davantage du corps des libéraux indépendans. C’est un vieux réformiste, toujours capable de se replacer au plus épais de la phalange progressiste par des résolutions soudaines et des coups de tête imprévus. Lord Palmerston au contraire, si téméraire, si actif, si acharné dans la politique étrangère, ne déguise guère la sceptique indifférence que lui inspirent les progrès politiques poursuivis à l’intérieur. Son dernier ministère a donné, sous ce rapport, aux libéraux indépendans, la mesure de lord Palmerston. Le noble lord s’était fait une tactique habituelle de battre les mesures présentées par les libéraux avec le concours des tories. C’est une représaille de cette manœuvre que les libéraux appliquent aujourd’hui à lord Palmerston en protégeant contre son opposition le cabinet de lord Derby. À cette pratique, qui a fini par lasser un grand nombre de libéraux, lord Palmerston joignait le tort de ne point épargner aux orateurs les plus éminens de cette section de son parti, à M. Bright surtout, les railleries humoristiques où il se complaît, et où il excelle avec une verdeur juvénile. M. Bright ne semble point avoir oublié ces plaisanteries caustiques, et il est devenu la hache des discours et des manœuvres de lord Palmerston. Nous arrivons ici aux griefs personnels des libéraux indépendans. Ces griefs n’attaquent pas seulement la froide fierté de lord John ou l’humeur sardonique de lord Palmerston, ils ont une portée plus élevée. Lord John et lord Palmerston ont pris l’habitude de laisser l’accaparement des fonctions ministérielles à un petit état-major aristocratique, éternellement composé des mêmes membres de leurs familles ou de leurs coteries intimes. La morgue exclusive des whigs est une des plus vieilles accusations qui aient été portées contre ce parti aristocratique et libéral ; c’est encore l’objet des reproches que leur adressent les libéraux indépendans et les radicaux. Aussi ceux-ci semblent-ils décidés à profiter de l’occasion que leur fournit la situation des partis dans la chambre pour constater leur importance et contraindre désormais lord John Russell, lord Palmerston et l’aristocratie whig à compter à la fois avec leurs idées et avec leurs personnes.

La motion de M. Cardwell a été pour eux un prétexte tout naturel de montrer leur nombre et de faire sentir leur puissance. Lord Palmerston avait, à propos de cette motion, passé chez lui une revue de ses forces. Deux cents membres s’étaient rendus à son appel. Les libéraux indépendans opposèrent une contre-manifestation à la réunion de Cambridge-House. Ils se rassem-