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tout ce qu’on peut obtenir des tories en leur marchandant un appui indispensable.

Élevons-nous quelque peu au-dessus de ces combinaisons parlementaires, qui jamais n’auront que l’intérêt du jour ou de la semaine, et demandons-nous si le temps de la justice est enfin venu pour l’Inde. — Cette simple question ouvre d’immenses horizons, sur lesquels il semble que le jour commence à poindre. L’Angleterre comprend, — ses généraux eux-mêmes le lui disent[1], — que la force matérielle ne peut lui assurer longtemps la domination de cette vaste agglomération de territoires et de peuples qu’elle appelle son empire indien. Elle comprend aussi que de tous les moyens de « conquête morale » qu’elle peut employer, le plus irritant, le plus périlleux serait celui que lui proposent les fanatiques d’Exeter-Hall, la propagation presque forcée du christianisme tel qu’ils l’entendent. Elle sait en outre que sa domination, aisément subie par les ryots, dont elle peut et devrait améliorer la condition, est odieuse et le sera toujours aux classes autrefois dominantes, dont elle doit tendre peu à peu sans secousses, sans tyrannie, à réduire, à limiter l’influence. Elle sait enfin que l’impôt excessif sous lequel se débat, depuis des siècles, la misérable agriculture de la péninsule indienne devra, quoi qu’il en puisse coûter d’abord, être ramené à des proportions plus équitables et perçu par des moyens moins violens. Ces idées, facilement intelligibles, ont fait leur chemin, grâce à la terrible insurrection dont nous avons voulu raconter quelques épisodes, et un premier pas a été fait dans une voie de sages innovations par la destruction du monopole de la compagnie. Aucun intérêt tiers ne viendra se placer désormais entre celui de la nation anglaise et celui des cent cinquante millions de fellow subjects dont elle s’est déclarée la tutrice. Humainement et, si l’on veut, chrétiennement compris, ces deux intérêts, loin d’être opposés l’un à l’autre, devront finir par n’en faire qu’un jusqu’au jour où l’émancipation intellectuelle des peuples hindous leur donnera le droit de réclamer une indépendance qu’ils obtiendront très probablement avant d’en être complètement dignes, car il en est de la liberté, comme de la grâce divine, qu’on a par surcroît, si peu qu’on fasse pour l’obtenir. Certains peuples l’ont eue qui, la comprenant peu, l’avaient, quoi qu’on en dise, à peine désirée. Il est vrai qu’ils n’ont pas su la garder longtemps.

E.-D. Forgues.
  1. Sir James Outram dans ses remontrances à lord Canning, le général Jacob dans une lettre curieuse adressée aux Daily-News.