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Ce voyage a été raconté, dans un livre qui offre une vive peinture de la mort et de la résurrection d’un peuple, la Grèce moderne et ses rapports,avec l’antiquité. Pendant tout le printemps de 1829, les Turcs occupant Athènes et une partie de la contrée, l’ardent voyageur parcourt à cheval cette terre sainte de l’art et de l’héroïsme, encore marquée des stigmates de la servitude. Quelle misère ! quelle nudité ! Ce ne sont que scènes d’angoisse ; images d’avilissement « sur le fond immortel et béni des scènes de l’Odyssée, en face des grèves où s’étendaient les festins, les vases d’or, les tapis : paresseux et les discours sans fin de Nestor à son hôte. » M. Quinet, en vrai poète, est tout d’abord frappé de ces contrastes, et, il les rend avec une singulière vigueur ; philosophe, il songe au rôle de la Grèce dans le drame épique du genre humain, et l’histoire des migrations, des races s’éclaire à ses yeux d’une lumière toute nouvelle ; publiciste, âme libérale, il admire ces klephtes, ces pallikares, ces soldats de Tripolitza et de Missolonghi, si fiers, si ardens encore, au milieu de la désolation de leur patrie, comme si des siècles d’esclavage n’avaient point passé sur l’héroïque sol des Messéniens et les champs de bataille de Philopémen. La Grèce moderne confrontée avec la Grèce antique, la Grèce et la philosophie de l’histoire, la Grèce morte et relevée par ses fils, ces trois sujets sollicitent tour à tour l’attention du poète voyageur, et se croisent avec art dans la trame éblouissante de son récit. On a beaucoup écrit sur la Grèce depuis la révolution hellénique. Les écrivains européens en parlaient il y a trente ans, avec l’exaltation irréfléchie de la jeunesse, comme ils en parlent aujourd’hui avec un dénigrement de vieillards. Au milieu de tant d’ouvrages en sens contraire, le livre de M. Quinet a gardé un singulier caractère d’impartialité. Composé sur les lieux, inspiré par une âme enthousiaste, mais sans parti-pris, il donne l’image vive et sincère des choses. La misère et les trésors cachés de la Grèce, l’avilissement de son génie et les ressources morales, qui lui restent, en un mot tous les aspects de la réalité sont décrits par l’auteur à mesure qu’ils s’offrent à ses yeux. Un célèbre écrivain allemand, M. Fallmerayer, a vu aussi la Grèce vers l’époque où M. Quinet l’a visitée. M. Fallmerayer a un cœur de poète, et le rapprochement de la Grèce nouvelle avec la Grèce d’Homère qui a inspiré, comme à M. Quinet des peintures éclatantes. Ses principaux ouvrages, l’Histoire de Morée et les Fragments de l’Orient, peuvent rivaliser, à certains égards, avec le voyage dont nous parlons. Que de différences pourtant entre les deux écrivains ! M. Fallmerayer était persuadé que la race hellénique n’existe plus en Grèce, excepté dans quelques îles de l’Archipel, et que la race slave s’est partout substituée aux anciens habitans du sol ;