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leur vrai jour ces faits incohérens. Il montre les traditions de l’empire romain pesant sur l’Italie du moyen âge et la façonnant d’avance à toutes les servitudes. L’histoire de l’Italie moderne est une lutte contre cette servitude, lutte souvent tragique, représentée par une succession de grands hommes en qui tout un peuple souffre et meurt. « Dans aucun pays, dit l’auteur, on ne vit si fréquemment la vie générale s’arrêter, se glacer, la patrie disparaître, et à sa place surgir quelques grands individus qui semblent hériter de l’existence d’un monde détruit. Je montrerai dans le fond de leur cœur le travail continu d’une nation qui se cherche. » L’idée est neuve, hardie, et elle vivifie une érudition très variée. Il y a là sans doute des opinions très contestables, principalement en tout ce qui tient au saint-siège[1] ; mais les études littéraires, les chapitres sur Dante, Boccace, Pétrarque, Machiavel, Michel-Ange et Raphaël, Arioste et le Tasse, Giordano Bruno, Alfieri, attestent que les diversions politiques n’avaient pas affaibli chez M. Edgar Quinet l’intelligence enthousiaste de la philosophie de l’art.

J’ose dire que les leçons de la vie publique n’ont pas été inutiles à ce rare esprit. Personne n’a plus noblement supporté les tristesses de l’exil. Sa conscience, rendue à elle-même, s’est interrogée avec franchise. De beaux travaux sont sortis de là, la Fondation de la République des Provinces-Unies, la Philosophie de l’Histoire de France, les Roumains, trois grandes pages que les lecteurs de ce recueil n’ont certainement pas oubliées[2]. Je signale surtout le drame des Esclaves, publié en 1853. Ce drame, une des œuvres les plus intéressantes de M. Edgar Quinet, est une invective terrible contre la démocratie. En parlant tout à l’heure des leçons de M. Quinet sur l’idéal démocratique de la France, leçons qui avaient si fort déplu aux révolutionnaires, j’appelais l’orateur un esprit sacerdotal ; ce

  1. M. Quinet croit que la disparition du catholicisme transformerait et relèverait la race romane. Il n’y a qu’un mot à répondre : en admettant même que la race romane fût en danger de mort, comme le pense M. Quinet, le remède qu’il propose serait impuissant. Le catholicisme n’est pas seulement une cause, mais une effet. Ce n’est pas le catholicisme qui a façonné la race romane, c’est la race romane qui, en s’assimilant l’idée chrétienne, en l’organisant d’après les tendances de sa nature, a produit le catholicisme, de même que la race germanique a produit les églises protestantes. La différence des deux races, moins sensible avant le XVIe siècle, existe pourtant au sein même de la chrétienté du moyen âge. Le protestantisme germanique est bien antérieur à Luther, de même que l’esprit catholique est bien antérieur chez la race romane à l’établissement définitif du saint-siège. Des esprits pénétrans, M. Émile Montégut, M. Ernest Renan, ont déjà développé ce point de vue, que l’étude chaque jour plus approfondie du moyen âge confirme d’une manière éclatante. Prêcher à la race romane une révolution religieuse, c’est vouloir qu’elle se transforme en race germanique.
  2. Voyez la Revue du 1er, du 15 mai, du 1er juin 1854, du 1er mars 1855, du 15 janvier et 1er mars 1856.