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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/192

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à l’ouest, et parmi ses édifices je distinguais parfaitement l’ange en bronze qui domine le château Saint-Ange, naguère ma triste résidence. Nos yeux s’arrêtèrent longtemps sur la campagne romaine, sillonnée par le Tibre, bordée à l’ouest par les plages de Nettuno, au levant par les collines suburbaines. Le cap Circeïum bornait notre vue du côté opposé à la ville éternelle. Toute cette immense étendue de terrain était parsemée de bourgs, de maisons de campagne, de villas, de tombeaux, de ruines, d’une foule de petites rivières et de cascades. Nos regards arrivaient jusqu’à Velletri et jusqu’aux plaines où Marcellus arrêta la marche d’Annibal, près de Roccu di Papa. Cinq ou six lacs, d’une transparence cristalline, reflétaient les paysages qui les entouraient, et donnaient à cette seconde vue un charme infini. Nous restions en extase devant ce spectacle féerique ; nous embrassions d’un coup d’œil tous les restes de l’ancienne grandeur latine et les œuvres d’art les plus remarquables de la Rome moderne. Le soleil, qui venait de se lever, donna un aspect nouveau à la campagne. Il fit mieux ressortir les différentes nuances de la végétation ; il fouilla les moindres sinuosités des vallées, des collines, des grottes et des rochers qui nous entouraient, en mettant en évidence les plus petits châteaux, les modestes villages, les tours isolées que le brouillard nous avait dérobés jusqu’alors. Peu à peu avec le jour s’éleva le bourdonnement des populations ; le tintement des clochettes, la cornemuse des bergers, le bêlement des chèvres, le mugissement des taureaux, animèrent la beauté muette de la scène que nous contemplions. En pensant que pour la dernière fois peut-être j’assistais à ce sublime spectacle, les larmes me vinrent aux yeux, et je me sentis le cœur plein de tristesse et de regret. Adieu, beau pays de mon enfance ! adieu, chère Italie fatalement vouée au servage ! C’est pour t’avoir trop aimée que maintenant je dois me séparer de toi ! Que nos malheurs soient du moins une expiation ! que l’avenir te tienne compte un jour de tant de larmes répandues, de tant de sang versé par tes enfans pour ta délivrance et pour ta régénération !

Je descendis en m’appuyant sur le bras de ma fidèle compagne. Sa présence me rendit quelque sérénité. Je pensai qu’au milieu des malheurs que me réservait l’exil, une partie essentielle de mon bonheur restait avec moi.

Nous quittâmes les États-Romains vers la fin de l’automne, et nous nous dirigeâmes vers la Toscane. Je partais presque content ; je me rappelais les jouissances et les distractions de mes précédens voyages, et je comptais de nouveau sur des impressions douces et agréables. Hélas ! je ne savais pas encore combien est triste ce pèlerinage qui consiste à courir le monde sans pouvoir rencontrer